Dis-moi ce que tu voles, à qui tu le voles et par quel moyen ; je te dirai quel voleur tu es.
Supposons, ami lecteur, que tu sois un musicien, un auteur-compositeur imaginatif, talentueux et travailleur ; et que tu chantes tous les jours, assis devant ton piano (ou debout si tu joues du piano debout) ou la guitare à la main (chanter en soufflant dans une trompette ou en jouant du violon, c'est compliqué), les magnifiques chansons que tu composes toi-même.
C'est sûr : le disque de l'année et le tube de l'été, c'est toi qui vas les faire.
Pour enregistrer tes chansons, tu auras besoin d'un studio. Le matériel n'est pas bon marché, donc tu ne disposes peut-être pas d'un studio personnel. Ou peut-être un ministudio avec ton PC et quelques accessoires, mais sache que ça ne suffit pas. Pour une démo, ça peut convenir, mais toi tu veux faire un disque à succès. Il te faut du matos de pro. Dans ce cas, tu peux louer un studio à la journée ou même à la demi-journée. Comme ce n'est pas gratuit, essaie que tes chansons soient parfaitement au point au moment où tu entameras ta ou tes journées d'enregistrement. Moins tu perdras de temps avec des prises foireuses, moins tu devras piocher dans tes économies.
Cela accompli, tu devras faire graver tes CD. Plus tu en commanderas, moins ils te coûteront à l'unité, donc commandes-en un bon paquet. Bien sûr, ça va te coûter bonbon, mais quand tu les auras revendus, à toi les bénéfices !
Bien entendu, des disques, on ne les vend pas sans emballage. Tu devras donc concevoir une pochette (es-tu capable de jongler avec les logiciels de retouche d'images ?), acquérir des boîtiers et accomplir quelques menues démarches administratives (assez chiantes, toutefois) pour « déposer » ton œuvre.
Comme tu vas la vendre, n'oublie pas qu'il s'agit d'une activité à caractère commercial et, par la même occasion, une activité professionnelle (à titre complémentaire, dans un premier temps), donc tu devras également sacrifier à d'autres démarches consistant à t'enregistrer comme auto-entrepreneur, acquitter les lois sociales et tenir une comptabilité.
Ensuite, tu courras les routes, tu battras le rappel de tes potes, tu frapperas aux portes, tu iras trouver les radios locales, régionales, nationales... Tu chercheras bien entendu plusieurs disquaires disposés à revendre quelques-uns de tes albums (moyennant bakchich, c'est normal).
Tu gèreras ton stock de marchandises, et puis tu n'oublieras pas l'essentiel de ton art : chanter et jouer d'un instrument. C'est ça, ce que tu veux, ce que tu aimes. Donc tu essaieras de te produire dans des fêtes locales, dans des petits clubs... puis dans des plus gros.
Pour y parvenir, tu devras bosser pas mal, courir beaucoup, dormir très peu et angoisser à mort. Sans compter que tu auras peut-être des fins de mois difficiles, que ton employeur (à qui tu ne peux pas encore dire merde parce que tu as besoin de ton boulot, en attendant la gloire et la fortune) te fera chier avec ses remarques sur tes arrivées tardives et ton manque de motivation et ses menaces de licenciement.
Oui, comme tu le vois, pour décrocher ton succès, tu devras te taper un fameux boulot de démarchage et de paperasserie qui te pompera l'essentiel de ton temps et de ton énergie, te bouffera toutes tes économies et même plus (les nouilles au sucre, ce n'est pas si mauvais, après tout), et te laissera sur les genoux au moment où tu devras faire ce que tu aimes sans même en avoir encore la force : composer, jouer, chanter.
Faut-il passer obligatoirement par là ?
Bien sûr que non ! Tu peux faire ce que tu aimes (composer, chanter), t'arranger pour enregistrer une petite démo, puis te mettre, comme bien d'autres, à la recherche d'un producteur. Si tu en séduis un, si l'un d'eux veut bien croire en ton talent, en ton travail, en ton avenir, il t'aidera. C'est lui qui paiera le studio, le matériel, les disques. Lui qui fera les démarches administratives, qui assurera la promotion de tes chansons auprès des médias, la distribution chez les revendeurs...
Toi, tu feras ce que tu aimes : composer, jouer, chanter. Ton producteur, il ne sait pas faire ça. Lui, son truc, c'est le bizness : promouvoir et distribuer. Et le disquaire, son truc, c'est de vendre des disques. Pas d'en faire.
Au bout du compte, sur chaque disque vendu vingt euros, tu n'en toucheras qu'un ou deux. Ben, c'est normal, non ? Ce sont les autres qui font le sale boulot, celui qui ne t'intéresse pas vraiment : courir partout pour essayer de vendre ta camelote, tenir une comptabilité, gérer des stocks...
Ce sont aussi d'autres que toi qui ont pris tous les risques financiers et qui essaient de rentrer dans leurs frais, puis de faire du profit. Toi, si ça marche, tu es gagnant. Si ça ne marche pas, tu ne perds rien d'autre que tes illusions.
Et puis, si un jour tu as du succès, si tu es connu partout, si les gens aiment tes chansons, tu t'apercevras aussi que quelques marioles s'amusent à pirater tes disques, à en revendre des copies derrière le dos de ton producteur, à en télécharger les chansons sans que tu puisses faire quoi que ce soit pour les en empêcher. Tu te diras : c'est moche, hein ?
Oui, parce que chaque disque piraté te privera d'un ou deux euros de royalties.
Bien sûr, les gens qui te piquent ta musique – donc ton travail et ton gagne-pain – sans te payer un kopeck, diront pour leur défense que « tout le monde fait ça » et puis « que c'est pour emmerder les salauds de producteurs qui se bourrent les poches à tes dépens » et « que c'est pour défendre la liberté d'expression » et autres conneries du genre.
À ce moment, tu penseras sûrement que tu as bien fait de ne pas assumer toi-même toute la charge financière et tout le boulot de promotion et de distribution, parce que ces pirates hypocrites, au lieu de te gruger d'un ou deux euros par disque, ils t'en prendraient dix fois plus !
Tu devrais poster un lien vers ton article chez moi, ça intéressera sûrement tous ceux qui ont participé au débat !
RépondreSupprimerbien dit!!!
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