mercredi 13 juin 2012

Le chef

Dimanche dernier, vers dix-neuf heures, en sélectionnant une chaîne française à la télé, j'étais en train de songer à quel point l'intérêt des gens pour certaines choses a priori de la même veine, et probablement d'une importance presque égale, peut varier dans de grandes proportions.

Je me suis souvenu des deux soirées, lors de l'élection présidentielle du mois de mai, et des émissions spéciales mises en route dès dix-huit heures sur la première chaîne belge francophone, avec diffusion immédiate de premières estimations pourtant rigoureusement interdites d'antenne avant vingt heures dans le principal pays concerné.

Je me suis souvenu de certaines conversations au boulot, des opinions des uns et des autres et des pronostics parfois enflammés que j'entendais autour de moi.

Vendredi dernier, nous évoquions, pendant l'heure de table, le week-end chargé qui s'annonçait dans les médias, avec le coup d'envoi de l'Euro de football, les finales de tennis à Roland-Garros, le grand prix de F1 au Canada et les cyclistes professionnels qui devaient en découdre sur les routes du « Dauphiné ». Dans la conversation, j'ai glissé un « et les élections en France ». Certains ont hoché la tête sans conviction, mais j'ai vu des sourcils se soulever.

« Ben oui », ai-je ajouté. « C'est les législatives. Le premier tour. » Et j'ai même dû un peu expliquer...

Et ce dimanche, en soirée, j'ai capté les premières nouvelles de ce scrutin sur une chaîne française. En Belgique, presque rien. Une page bien fournie lors du journal télévisé, certes, mais foin d'émission spéciale à rallonge avec invités français de tous bords, chose à laquelle nous avions eu droit lors de chacun des deux tours de la « présidentielle » !

Il me semble pourtant que ces législatives sont de première importance.

Il me semble...

Et puis, en voyant les premiers chiffres en bas de l'écran – ceux du taux d'abstention –, j'ai compris que le phénomène était aussi français que belge, et avait pour nom « désintérêt ».

Le président, le chef, ça intéresse beaucoup de monde ; mais les élus à l'Assemblée nationale, apparemment, ça ne fait pas courir les foules.

En plongeant dans mes souvenirs de cours et de diverses lectures, une vérité m'est soudain revenue à l'esprit : l'Homme est un animal de meute. Et toute meute a besoin d'un chef.

Il n'est même pas besoin d'une meute. Une simple famille suffit. Mais plus le groupe est réduit, paradoxalement, plus la place de chef est difficile à maintenir, à justifier.

Quand on est deux, il n'y a pas souvent officiellement un chef. En tout cas pas dans nos civilisations occidentales du siècle présent. À trois, à quatre, ça commence à devenir nécessaire. Même si c'est un duo qui dirige.

Dans un « guide de survie » à l'usage des naufragés et des gens se retrouvant plongés dans un monde hostile sans espoir d'en sortir immédiatement, j'ai lu que la vie en groupe exigeait de l'organisation et une forme de discipline imposant le choix d'un chef.

Le choix du chef, c'est important. Le chef qui parvient à s'imposer et se faire respecter, c'est primordial. Dès qu'on est en groupe, il faut un leader, un meneur ; et plus le groupe est important, plus il est hiérarchisé. L'établissement de cette hiérarchie exige généralement une grande débauche d'énergie, suscite de l'agitation et, pendant quelque temps sans doute, de l'instabilité.

Mais la mise en place du chef est, de loin, ce qui requiert le plus d'attention de la part de tous. Depuis ceux qui aimeraient être chef à la place du chef à ceux qui savent qu'ils ne le seront jamais parce que ce n'est pas donné à tout le monde, parce que ça exige force, confiance en soi, esprit d'initiative, sens des responsabilités, vigilance, méfiance, ruse et – il faut bien le dire – une bonne dose de duplicité. Tous se sentent concernés, de près ou de loin.

Une fois le chef intronisé, le choix de ses lieutenants semble soudain secondaire, même s'ils sont nombreux. À peine si ce n'est pas lui qui doit les choisir parmi les prétendants, parmi lesquels nombreux seront ceux rêvant de devenir « numéro un ».

Les législatives, finalement, c'est un peu ça : un combat de grenouilles rêvant de devenir un jour plus grosses que le bœuf, mais réduites à court terme à patauger dans la mare en coassant à qui mieux mieux dans l'indifférence quasi générale mais sous le regard calculateur d'un grand chef qui compte les coups tout en marquant résolument son territoire.

Et même si on vit seul, on peut rêver d'être, comme le chantait Renaud, « toute une bande ».

« Je suis le chef et le sous-chef
Je suis Fernand le rigolo
Je suis le p'tit gros à lunettes
Je suis robert le grand costaud
Y'a pas d'problème de hiérarchie
Vu qu'c'est toujours moi qui commande
C'est toujours moi qui obéis
Faut d'la discipline dans une bande.

Je suis une bande de jeunes à moi tout seul... »

(Renaud : « Je suis une bande de jeunes »)


Que cela ne nous fasse pas oublier, toutefois, ce que grommelait Maître Georges :

« Le pluriel ne vaut rien à l'Homme et sitôt qu'on
Est plus de quatre on est une bande de cons. »
(Georges Brassens : « Le pluriel »)

2 commentaires:

  1. Et pourtant ce sont ces braves députés qui nous font des lois... (entre deux siestes dans les amphis de l'Assemblée...)

    RépondreSupprimer
  2. très intéressant cet article et qui pose des questions, questions sans réponses ou au contraire avec des réponses à n'en plus finir...
    cela posé, la chanson de Renaud est le reflet d'une réalité: là où il y a plusieurs individus, il y a ce spectre qu'il décrit: quand j'étais en primaire, il y avait ce genre de hiérarchies; plus tard au collège, même chose, sauf que là il fallait rajouter les filles, ou plus exactement, les attitudes qu'il convenait d'adopter en fonction de la hiérarchie établie...

    RépondreSupprimer