vendredi 1 juin 2012

La glorieuse incertitude du sport

J’ai bien ri ce matin en écoutant les informations à la radio : des voix s’élèvent dans le milieu du sport belge pour réclamer un plafonnement du salaire des footballeurs professionnels ! C’est vrai que ces vedettes empochent trop de pognon. C’est indécent !

Pour ceux qui ont la mémoire courte, qui sont trop jeunes ou trop vieux ou s’en foutent complètement, je rappellerai quand même que le monde du sport en général, et du football en particulier, a bien changé en quelques décennies.

Et tout d’abord, il faut bien reconnaître que bon nombre de disciplines sportives font à présent injure au terme « sport », et que la « glorieuse incertitude du sport » ne semble plus avoir d’intérêt que pour les parieurs. Le reste, c’est surtout du bizness.

Revenons-en à ces voix qui s’élèvent pour demander un plafonnement des émoluments des vedettes du foot, et autorisons-nous une petite mise au point historique…

La coupe d’Europe des clubs champions a été créée en 1955-56 ; et la formule d’origine regroupait les clubs ayant remporté le championnat de chacun des pays d’Europe admis à participer. Pendant de nombreuses années, les concurrents furent amenés à en découdre suivant un système d’élimination directe, par rencontres aller-retour jusqu’en demi-finale, la finale se jouant en un seul match.

Aucun pays n’y envoyait plus d’un club, à l’exception du pays « tenant » de la coupe, qui obtenait deux tickets, le vainqueur sortant étant qualifié d’office.

Assez rapidement, l’épreuve fut qualifiée de prestigieuse et les rencontres internationales, très prisées du public, remplirent aisément les stades et les trésoreries. Les enjeux financiers se précisèrent et, bien vite, les clubs les plus huppés obtinrent d’être désignés « têtes de série » lors des tirages au sort, histoire d’éviter d’avoir à en découdre entre eux dès les premiers tours et risquer de se voir rapidement et injustement éliminés d’une compétition pouvant rapporter pas mal d’argent.

J’écris « injustement » parce qu’il s’agit d’une constante ancrée dans la mentalité des mieux nantis : quand ils perdent, c’est toujours injustement. Le petit a triché, a bénéficié de circonstances favorables, etc.

Comme chacun sait, le sport est fait d’incertitudes ; et le monde des affaires déteste les incertitudes.

Voici une vingtaine d’années, la coupe d’Europe des champions est devenue Ligue des champions. Fini l’élimination directe des clubs les plus huppés ! Avant d’en arriver là, certitude leur a été donnée de disputer plusieurs rencontres à domicile et en déplacement, rencontres au cours desquelles ils pourront amasser de l’argent tout en ayant droit au moins une fois à l’erreur sans se voir irrémédiablement boutés hors compétition.

Pour les aider dans leur entreprise et éviter de mécontenter les bailleurs de fonds (les patrons de clubs comptant fermement sur un prompt retour sur investissement), l’UEFA attribue aux clubs des coefficients de performances issus de leurs résultats lors des éditions précédentes, et permet aussi la participation de plusieurs clubs issus du même championnat !

Ainsi, lors de la toute récente finale de l’édition 2011-2012, qui opposait Chelsea au Bayern de Munich et qui s’est terminée par la victoire des Anglais à l’issue de l’épreuve des tirs au but, un seul de ces tirs manqué ou réussi a pu décider non seulement de l’issue de la rencontre, mais aussi du sort du… RSC Anderlecht, vainqueur du championnat de Belgique !

Munich vainqueur, Anderlecht était directement admis au sein des groupes éliminatoires de la ligue des champions. Chelsea l’ayant finalement emporté, le champion de Belgique devra non seulement se farcir deux tours préliminaires pour arracher le droit d’accéder à la véritable compétition, mais il ne recevra pas la prime de « participation » de quinze millions d’euros attribuée aux qualifiés directs !

Selon la défunte formule, l’Angleterre aurait eu deux participants à l’édition 2012-2013 : Chelsea, vainqueur sortant ; et Manchester City, champion 2011-2012. Les autres pays auraient un club qualifié.

Un coup d’œil au tableau des qualifiés à la moderne ligue des champions nous apprend que pour permettre aux Anglais d’envoyer quatre clubs directement dans les groupes ; aux Espagnols et aux Allemands d’en déléguer trois et aux Italiens, Français et Portugais deux ; les vainqueurs – entre autres – des championnats belge, roumain, écossais, suisse, tchèque, croate, polonais… devront d’abord en découdre par élimination directe dans des tours préliminaires.

Voilà plusieurs années que je ne regarde plus de matchs de foot européen à la télé. Franchement, ça me débecte. Que les riches se disputent entre eux le trophée et qu’ils cessent de se payer notre tête !

Nous, les « petits », les moins nantis, nous n’avons aucune chance de briller dans ces compétitions que nous devrions tout simplement boycotter. Nos clubs sont devenus des pourvoyeurs de talents, des bancs d’essai où les jeunes espoirs tentent d’émerger, de se faire un nom, avant de partir se faire du blé en Angleterre, en Espagne, en Italie, en Allemagne…

L’équipe nationale belge de football est composée presque exclusivement de joueurs officiant dans d’autres championnats que le nôtre. Ils y gagnent beaucoup d’argent, bien plus qu’en évoluant dans les meilleurs de nos clubs ; et bien plus aussi que dans cette équipe nationale composée de joueurs talentueux mais démotivés parce qu’ils ont trop peur de se blesser dans des rencontres amicales ou dans des matchs éliminatoires sans gros enjeux financiers.

Le foot-business me fait gerber.

1 commentaire: