On a coutume de dire, dans un soupir de lassitude, qu'il n'y a plus de saisons. Compte tenu du nombre de fois que j'ai entendu prononcer ces quelques mots, par tant de personnes différentes et au cours de tant d'années déjà, j'ai la très nette impression que le phénomène n'est pas nouveau. Il serait même plus ancien que le dérèglement climatique, le réchauffement de la planète, l'effet de serre, la fonte des glaces, le trou dans la couche d'ozone et les publicités idiotes dans les médias.
Je ne sais pas si c'est partout pareil, mais cette année, en Belgique, nous avons été gâtés. Et les récoltes pourries.
Déjà, l'hiver était tardif : on n'a commencé à avoir vraiment froid qu'en février, au grand soulagement de la facture énergétique des périodes de fêtes. Après cette période de froid qui a bien duré un mois – heureusement, c'était le plus court de l'année – rien que pour nous enquiquiner, nous avons eu droit à un printemps maussade. Il a fait bon pendant le temps nécessaire aux arbres pour bourgeonner et commencer à fleurir, mais suffisamment frais et humide dans la foulée pour décourager la plus vaillante des butineuses d'aller mettre un bout de patte dehors.
Nous n'avons pas eu de cerises, il n'y aura presque pas de prunes, sans doute très peu de poires et de pommes, les laitues se sont obstinées à dépérir les unes après les autres, les roses peinaient à s'ouvrir, la récolte de patates est si médiocre que les frites seront plus courtes que les moules... et je pourrais poursuivre pendant plusieurs lignes encore la litanie des calamités printanières de l'an deux mil douze.
Comme si ça ne suffisait pas à notre désappointement, à la hausse du chômage et aux cours fléchissant des valeurs boursières, le mois de juin fut déprimant. Juillet s'amorçait si mal qu'aux alentours du quinze, Chérie, qui fait toujours montre d'un optimisme inébranlable, m'a suggéré de remballer le grand parasol, puisqu'il ne servirait plus. « M'enfin ! me suis-je exclamé. On n'est qu'en juillet ! » « Tiens ! Oui, c'est vrai, m'a-t-elle concédé. Je ne m'en rendais plus compte. »
Quand août est arrivé, nous nous sommes pris à espérer...
Las ! Après l'Assomption – qui tombait exceptionnellement le quinze, cette année – on se rend généralement compte que l'été, quand il y en a eu, s'en va sur la pointe des pieds mais néanmoins à grandes enjambées. On se préparait donc à une rentrée déjà automnale dès septembre, avec son cortège de soupirs et de traînements de pieds.
Dès le début du mois d'août, d'ailleurs, la boîte à lettres annonçait la couleur : toutes les pubs étaient là avec leurs pages de fournitures scolaires, de vêtements de la collection automne-hiver et de systèmes de chauffage à grand rendement.
Et soudain, la belle mécanique à déprime s'enraya : à l'inverse de la cigale qui se trouva fort dépourvue quand la bise fut venue, c'est nous qui étions bien trop pourvus alors que la bise n'arrivait pas.
Une seconde quinzaine de mois d'août qui affole les thermomètres, et nous voilà tout désorientés !
Et tout d'abord, les soldes, c'est en juillet. On liquide les collections d'été. Mais qui en voulait, de ces maillots de bain, de ces tenues légères, de ces nus-pieds ? Qui voulait encore de ces draps de plage, de ces jeux d'eau, de ces barbecues, de ces parasols, de ces lits de soleil ?
Les rayons des magasins se sont regarnis de la collection d'automne : de quoi pester si vous réalisez que votre tenue de bain ne convient plus aux trois kilos que vous avez pris au hasard des apéritifs de consolation et des grignotages devant la télé (il y avait du sport, rappelons-le). Plus de fournitures estivales à trouver, alors que l'été est là ! Ou si peu. Il faut faire avec ce qu'on a.
Qu'importe ! Le retour des beaux jours et des températures presque caniculaires nous fait mettre le nez dehors. Le nez et le reste. Comme les yeux, par exemple.
Je ne sais pas si vous l'avez remarqué vous aussi, mais les semaines, les mois de frustration ont engendré une violente réaction chez nos compagnes : le besoin de s'aérer. D'un seul coup, le stock de tenues qu'elles croyaient condamnées au placard jusqu'à l'hypothétique été prochain surgit au grand soleil.
En rue, mais aussi au travail, le spectacle est chatoyant : on ne sait où poser les yeux ! Les jambes se dénudent, les corsages se relâchent, les bretelles se font discrètes...
Les motivations des unes et des autres sont diverses, mais participent essentiellement de deux notions plus ou moins importantes selon les tempéraments : se mettre à l'aise et attirer les regards.
De la voisine joufflue aux joues roses et au front luisant avachie dans sa chaise longue sous un parasol en essayant de conserver un rythme respiratoire propre à la survie, à la brunette d'en face qui multiplie les sorties sous des prétextes futiles qui n'ont d'autre but que d'affoler les matous du quartier avec sa jupette minimaliste et son minitop à fines bretelles porté à même la peau ; toutes exposent leur besoin d'air, leurs charmes ou le tout à la fois.
Il y a bien quelques réfractaires, quelques allergiques à la lumière qui s'enferment dans un trou obscur et ne parlent à personne, mais elle sont si peu nombreuses ! Et puis, on ne les voit pas, puisqu'elles ne se montrent pas.
Cet été tardif nous apporte soudain une bonne bouffée d'optimisme, de goût à la vie et aux rafraîchissements.
Alors, assez causé. Je sors pour une balade de fin de journée. Les terrasses m'appellent.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire