dimanche 5 août 2012

Le tout-en-un

Nous vivons l'époque du tout-en-un. Vous l'aurez sans doute remarqué, mais sans y attacher une grande importance ou sans vous poser de questions à ce sujet ; sauf si vous comptez parmi les victimes du phénomène.

Le tout-en-un, chacun a dû expérimenter cela un jour ou l'autre, sans vraiment y penser autrement qu'en se disant que ça présentait des côtés pratiques incontestables.

Quand j'étais étudiant, par exemple, je comptais parmi les adeptes du « tout dans la sauteuse » : la côtelette, puis la boîte de petits pois. Je mangeais ensuite dans la sauteuse, parce que la vaisselle, il ne fallait pas trop en salir. Et la laver dans la foulée, sous le robinet ouvert en grand. C'était ma première expérience volontaire et consciente du tout-en-un, si ma mémoire m'est fidèle, par esprit pratique autant que par paresse.

Cette vieille pratique a encore cours aujourd'hui ; mais, sans qu'on l'ait vraiment demandé, les inventeurs et les experts en marketing nous ont peu à peu forcé la main pour que le tout-en-un s'impose dans notre vie.

Dans le lave-vaisselle, par exemple, il n'est apparemment plus nécessaire de remplir le réservoir de sel régénérant et celui de produit de rinçage, pas plus que d'acheter encore des bidons de poudre : nous disposons de tablettes qui font tout. Elles sont joliment colorées, avec des couches superposées qui, parfois, enserrent une boule mystérieuse, l'ensemble présentant presque aussi bien que les couleurs d'un drapeau.

Avant, il fallait acheter un répondeur, si vous en vouliez un ; mais maintenant c'est intégré au téléphone. Le télécopieur aussi, si vous avez l'usage d'un tel engin. Et quelque part sur votre bureau trône peut-être un scanner-imprimante-copieur.

Je vois des gens se promener avec des engins plats sur lesquels ils promènent les doigts, ou qu'ils soulèvent devant eux quand ils ne les portent pas à leur oreille. On peut téléphoner, avec ça ; mais aussi lire et envoyer des messages, regarder des films, prendre des photos ou tourner ses propres vidéos, écouter de la musique, surfer sur Internet, acheter des marchandises, trouver son chemin, faire des opérations bancaires...

Évidemment, une distraction, une maladresse, une panne ou l'intervention d'un voleur... et vous ne pouvez plus acheter en ligne ni gérer vos messages et votre compte en banque ; vous ne pouvez plus écouter de la musique, prendre des photos, voir des films ou en créer, surfer sur internet... Et vous ne pouvez même pas téléphoner aux flics pour signaler la perte ou le vol. Et même pas dire où ça s'est passé parce que vous serez peut-être paumé.
Sans compter que si en plus l'engin vous sert d'aide-mémoire, style répertoire d'adresses et numéros d'appel, carnet de rendez-vous et réveille-matin, vous serez encore plus dans le coaltar !

C'est ça, le tout-en-un. Tous les ennuis d'un seul coup.

Moi, j'avais déjà remarqué que le lave-vaisselle, par exemple, donne de meilleurs résultats avec les trois produits séparés. Et puis, on ne manque jamais en même temps de sel, de liquide de rinçage et de poudre détergente. Et la lessive, c'est pareil : les poudres tout-en-un n'ont pas les mêmes performances que les produits séparés.

Tant qu'on y est, que les inventeurs et les commerciaux nous mettent sur le marché la bière et l'aspirine dans la même canette, le tout emballé dans un sac à vomir.
Et ils pourraient faire ça pour le chien : les croquettes emballées dans des sachets ramasse-crottes.

C'est le principe du couteau suisse. Je n'ai rien contre les Suisses, qui sont bien sympathiques (et, comme ils ont le fric, mieux vaut s'entendre avec eux), ni contre les couteaux parce que ça peut toujours servir, mais le couteau suisse, c'est quand même une invention à la noix !

D'accord, on peut coudre, couper, décapsuler, déboucher, visser, scier, poinçonner... et que sais-je encore ! avec le même engin ; mais de là à trouver ça génial, il reste de la marge. Parce que visser ou scier avec un couteau suisse...

L'outil à tout faire est souvent un outil à ne rien faire, ou en tout cas à ne rien faire correctement. Un peu comme l'homme à tout faire qui entretient les communs dans votre immeuble : il fait tout, certes, mais comment ?

Les autorités, en France, viennent de nous sortir un bel exemple de tout-en-un à la con : dans la même voiture, le chauffeur et l'alcotest. Pourquoi ne pas nous refiler à nous-mêmes les contraventions ?

Le tout-en-un, c'est aussi le crime en direct. On voit ça sur Internet, et après on nous le montre à la télé : le malfrat qui commet ses méfaits, filmé par un comparse ou par lui-même. Le tout-en-un de l'ère moderne, c'est l'assassin-militant-reporter. Et comme parfois il veut aussi jouer le rôle de la justice, à la fin, il se tire une balle dans le crâne.

Notez quand même que parfois, c'est l'inverse : au lieu de nous expliquer toutes les fonctions d'un objet ou d'une invention, on nous signale ce à quoi il ne sert pas. Parce que parfois, les gens du marketing attrapent des sueurs froides. Ils indiquent alors : « ne pas ingérer ».

Il y a des choses qui ne se mangent pas, ne se boivent pas ou avec lesquelles les enfants ne peuvent pas jouer.

Par exemple, avec leur habitude du tout-en-un, les gens pourraient croire que le liquide WC peut servir de boisson : ça désaltère puis ça décrasse. Alors on précise : « ne pas ingérer ». Mais ça ne suffit pas. Il faut aussi un bouchon maous ! Et c'est logique : celui qui est assez insensé pour avaler le produit est probablement incapable de comprendre le sens du mot « ingérer » !

Le tout-en-un, c'est tout ça. Et aussi mon PC.

Je m'en vais de ce pas lancer une sauvegarde. Non, deux. Un disque dur et une clé. Pas tout-en-un.

4 commentaires:

  1. ça c'est bien vu...
    mais tout de même, manger dans la casserole, tu te brûlais pas les mains contre les rebords ??

    RépondreSupprimer
    Réponses
    1. Non, non. J'utilisais une fourchette. "On n'est pas des sauvages", quand même !

      Supprimer
  2. vous avez vu le bordel quand le serveur d'Orange est tombé en panne: ya un mec à la télé qui nous a dit qu'il ne pouvait même pas prendre son train!!! et puis un couteau siusse, ça pèse une tonne dans la poche et pour décapsuler une boutelle de rôteuse, il faut mieux avoir des doigts de couturière que des doigts de docker (ancien modèle)!!!

    RépondreSupprimer
    Réponses
    1. Ouais. Je connais quelqu'un qui avait son couteau suisse en poche quand il a passé le contrôle à l'aérodrome. Confisqué, l'engin ! Il est donc parti sans décapsuleur, sans ouvre-boîte, sans couteau, sans tournevis, sans tire-bouchon, sans ciseaux, sans lime à ongles, sans poinçon...

      Supprimer