Les viticulteurs français ne sont pas
contents. Vous me direz que ce n’est pas nouveau, que généralement
ces gens-là sont mécontents pour l’une ou l’autre raison, que
ce soit au sujet de la météo, des quotas de production, des
maladies de la vigne, du coût de la main-d’œuvre, des taxes ou,
le plus souvent, à propos de ces salauds de producteurs étrangers
qui saturent le marché avec leur breuvage qui, c’est de notoriété
publique en France, « n’est pas du vin ».
Habituellement, j’entends tout ça
d’une oreille distraite de Belge blasé des jérémiades de ses
voisins du sud qui produisent évidemment du très bon vin, mais qui
sait très bien que la bière française, en revanche, ce n’est pas
vraiment de la bière mais une bibine à peine meilleure que du pipi
de cheval (de très peu, mais ils ont fait des progrès, on l’admet
du bout des lèvres).
Mais cette fois-ci, ils ont une
nouvelle raison d’être mécontents : la Grande Europe, qui
n’est jamais avare de coups foireux, a décidé d’autoriser les
producteurs américains de vin à coller des étiquettes portant des
noms contenant le mot « château » sur leurs bouteilles
de pinard. Pas « castle », non, mais bien « château »,
en français et avec l’accent circonflexe (ou sans, c’est
désormais autorisé) autant que l’accent californien.
Un scandale ! Et je les comprends.
Enfin, je veux dire que dans un premier temps je les comprenais, les
viticulteurs français, mais qu’ensuite, après réflexion et même
si je les comprends toujours, j’aurais plutôt tendance à rigoler.
Et pour plusieurs raisons.
La première raison de mon hilarité
est mesquine, je le reconnais, mais elle participe du juste retour de
manivelle. Il me revient que lorsque nous, les petits Belges, nous
sommes battus auprès de nos potes européens pour défendre notre
bon chocolat, qui constitue une partie de notre fierté (l’autre,
c’est la bière trappiste), nos voisins ne nous ont pas beaucoup
soutenus. Le résultat est que l’appellation « chocolat »
n’est plus réservée aux seules confiseries préparées
exclusivement avec des graisses issues de la fève de cacao (le bon
beurre de cacao), mais aussi d’emploi autorisé aux vandales qui
osent y mettre d’autres matières grasses végétales en appoint.
Et les « matières grasses végétales », c’est une
belle expression qui ne veut rien dire de bien précis sinon qu’on
se fout complètement des omega3, de votre taux de cholestérol et de
la saveur inimitable d’une denrée produite de main de maître avec
des ingrédients de qualité.
Donc, à la réflexion, je me suis dit
que c’était peut-être dommage pour les viticulteurs français,
mais que je ne m’en ferais pas trop pour ça. « Château »,
ce n’est qu’un mot du dictionnaire français, ça ne préfigure
pas une qualité bien précise et, dans de nombreux cas, ça désigne
seulement une bâtisse qui ressemble à tout sauf à un château. Ces
péteux du Bordelais se sont en effet arrangés depuis bien longtemps
pour affubler de ce mot n’importe quelle grosse ferme de leur
région, pour autant qu’on y produise du vin.
Ils n’ont qu’à faire comme nous :
déposer une nouvelle appellation, un label bien précis inutilisable
ailleurs, et le tour sera joué. Ils en ont déjà, des appellations
contrôlées exclusives ; alors, de quoi se plaignent-ils ?
De toute façon, on n’est pas près de confondre les vins des
grands châteaux du Bordelais avec n’importe quelle bouteille du
Nouveau Monde. Surtout pour ce qui est du prix auquel ils les vendent
– et, il faut bien l’avouer, ces prix sont aussi ceux auxquels
des couillons de spéculateurs les achètent.
J’ai d’ailleurs lu récemment
qu’une bouteille de vin, en France, ça ne revient pas à plus
d’une douzaine d’euros, quels que soient le château, la région,
l’appellation. Même si c’est exagéré, que ça coûte un peu
plus cher que ça, il n’y a pas de fumée sans feu. Voilà. Alors,
finalement, c’est bien fait pour eux. Le mot « château »
n’appartient pas aux producteurs de vin. Et s’il devait vraiment
désigner exclusivement les vrais châteaux, ceux qui ont une vraie
histoire de château, ils rigoleraient encore moins, en Gironde.
Est-ce que les Suisses font un scandale
pour l’Emmental finlandais ? Et les Hollandais pour le Gouda
belge ? Et pourtant, là, il y aurait de quoi : Gouda,
c’est bien un bled aux Pays-Bas, il me semble.
Alors, qu’est-ce qu’ils veulent,
les viticulteurs ? Qu’ils s’estiment heureux qu’on ne
puisse pas faire du « Champagne » en Australie, du
« Cognac » en Nouvelle-Zélande et du « Grand vin
de Bordeaux » à Vladivostok ou, pire, à Pékin ! Parce
que quand les bridés s’y mettent…
Et, à part ça, il paraît qu’on va
bientôt fabriquer de la vraie bière trappiste en France. C’est
nous, Belges, qui avons permis cela grâce à un vaste projet mené
en collaboration avec l’abbaye de Scourmont, qui brasse la célèbre
trappiste de Chimay. Alors, c’est pas beau, ça ?
La France perd l’exclusivité du mot
« château » sur ses bouteilles de pinard, mais elle va
bientôt avoir le droit de produire de la bière trappiste ! Et
là, franchement, je vais vous donner mon avis : elle ne perd
pas au change.
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