Vendredi soir, un gamin du village est
venu sonner à ma porte. Il vendait des stylos-bille pour la fête de
son école. Il était courageux, le petit. Malgré la pluie, capuchon
de l'anorak serré autour de la tête, il avait démarré dès la fin
des cours, mettant les sous dans un sachet de plastique. Pour un
euro, j'ai donc acheté un stylo-bille que j'ai ensuite jeté dans un
tiroir du meuble-téléphone, là où il en traîne déjà quelques
autres.
Samedi matin, en rentrant des courses,
ma femme a déposé un porte-clés et un stylo-bille sur la table.
L'un était marqué du nom d'une très respectable unité scoute, le
second provenait de la même école que celui que j'avais acquis la
veille. Chérie m'expliqua que quelques garçons en uniforme - très
polis au demeurant - vendaient les premiers au prix modique d'un euro
pièce sur le parking du supermarché, tandis que le second lui avait
été gentiment cédé - contre un montant identique - par une
fillette du village qui l'avait même aidée à décharger deux
paquets du coffre de la voiture.
Le tiroir a donc accueilli deux bouts
de plastique supplémentaires.
Dans l'après-midi, je m'en suis allé
benoîtement ouvrir la porte au fils des voisins, un gamin quelque
peu indolent que ses parents avaient fini par tirer du lit à l'heure
du déjeuner pour le pousser dehors à celle de la sieste avec sa
foutue poignée de stylos à bille à vendre au profit de la fête de
l'école.
Comme je n'ai aucune envie de me fâcher
avec les voisins pour un malheureux stylo-bille à un euro, j'ai donc
gratté mes fonds de poches pour réunir un peu de monnaie et
agrandir notre collection de bics qu'on n'utilisera pas et dont
l'encre se dessèchera, ou dont on ne se servira qu'une fois avant de
les égarer ou les oublier quelque part. Sur le moment, je me suis
consolé en me disant que le gamin en aurait au moins vendu un.
Et c'est au soir que j'ai commis
l'infamie. Nous avions décidé, ma femme et moi, que si quelqu'un
venait encore sonner à la porte, nous regarderions sournoisement par
la fenêtre pour nous assurer avant d'ouvrir que nous n'ayons pas
affaire à un vendeur de bics ou de porte-clés. Mais personne n'a
sonné. C'est moi qui suis sorti. Je voulais juste récupérer un
disque compact que j'avais laissé dans le lecteur de la voiture.
Au moment où je claquais la portière,
j'ai entendu une petite voix derrière moi. Un gamin qui vendait des
stylos à bille pour la fête de son école. Je lui ai dit que nous
en avions déjà acheté plusieurs et, pour faire bonne mesure, je
suis rentré pour plonger la main dans le tiroir et en tirer une
poignée de bics, tous à peu près pareils, autour lesquels
s'entremêlaient les anneaux de plusieurs porte-clés.
Le garçon a eu l'air tout triste. Ses
épaules se sont affaissées puis il a baissé la tête vers son sac
banane pour y ranger ses stylos à bille. Ses doigts tremblants en
ont laissé échapper un, alors il s'est vite baissé pour le
ramasser, puis il est parti après m'avoir dit bonsoir.
Ça m'a fait tout bizarre quand j'ai
refermé la porte. J'avais le sentiment d'être injuste. Ce gamin
n'était pas moins poli qu'un autre, son stylo à bille n'était pas
plus moche et marchait probablement aussi mal que ceux qui
encombraient déjà mon tiroir. Ce n'était même pas pour l'euro que
ça m'aurait coûté. Il me restait d'ailleurs encore un peu de
monnaie dans la poche de mon paletot.
Mais comment donc ces enfants
auraient-ils pu deviner que nous avions dans notre tiroir davantage
de bics et de porte-clés que nous n'en pourrions jamais utiliser ?
Devrons-nous, à l'avenir, exposer aux yeux de tous cette collection
d'objets en les étalant derrière la vitre du living ?
Ma femme n'a pas apprécié l'idée.
Elle espère seulement que les prochains vendeurs proposeront quelque
chose de plus original. Moi aussi, parce que je n'aime pas de dire
non quand on demande poliment.
Et ça m'a rappelé une émission de
télé, où un type et son équipe organisaient des canulars,
redoublant d'imagination pour embobiner de malheureuses victimes dans
des combines hilarantes (pour le téléspectateur).
Interviewé après toute une longue
série de blagues à succès, l'animateur avouait avoir parfois pris
des risques et échappé de justesse à l'un ou l'autre gnon, comme
lorsqu'il venait tremper son croissant un peu trop sec dans la tasse
de café d'un autre client, sans en demander l'autorisation.
Il expliquait ensuite que les gens sont
en général très gentils et serviables, surtout lorsqu'on leur
présente les choses aimablement, mais que lorsqu'il s'agit de leur
demander de l'argent, les visages et les portes se ferment.
C'est à cet usage que les bonnes gens
ont fait leurs les expressions « j'ai déjà donné » ou
« je ne peux pas quand même pas soulager toute la misère du
Monde », lorsqu'il s'agit d'ouvrir le porte-monnaie. Par
contre, indiquer le chemin de la gare ou du stade de football à
l'automobiliste égaré, ça ne pose aucun problème. On est même
désolé quand on ne peut pas offrir le renseignement.
Je suis radicalement contre la vente par les gamins de n'importe quoi au nom de je ne sais quelle cause. Ça m'agace.
RépondreSupprimerle travail des enfants, c'est interdit !
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