Il est toujours joli, le temps passé
Une fois qu'ils ont cassé leur
pipe,
On pardonne à tous ceux qui nous
ont offensés,
Les morts sont tous de braves types.
(Georges Brassens, « Le temps
passé »)
Quand une célébrité nous quitte –
pour un monde meilleur, diront certains –, je songe inévitablement
à ces quelques vers de Maître Georges.
Même s'il est vrai que le temps, un
peu comme l'érosion qui s'évertue à remplir les creux et à
aplanir les reliefs, aurait tendance à nous faire oublier le pire et
à conserver le souvenir du meilleur ; je ne peux m'empêcher de
penser que l'hypocrisie ne mourra qu'avec les derniers représentants
de la race humaine.
Avec un cynisme que je trouve comique,
certains ont suggéré que les frais engendrés par les inévitables
cérémonies qui présideront aux obsèques de Miss Maggie soient
entièrement pris en charge par le secteur privé.
Peut-être pourrait-on demander à
d'anciens mineurs de creuser la tombe ? Ou, en cas
d'incinération, à quelques ex-sidérurgistes de préparer le four ?
Qu'ils sont pathétiques, tous ces
leaders, tous ces politicards, avec leurs hommages qui puent
l'opportunisme de circonstance !
Bien sûr, Miss Maggie avait quelques
fervents partisans dans les hautes sphères, les ultralibéraux qui
ont mené notre monde là où il est, et qui se félicitent de
l’œuvre accomplie : les pauvres sont plus pauvres, les
riches, plus riches.
Je ne peux pas non plus m'empêcher de
penser que la liberté d'expression, en quelques années, a pris un
solide coup sur la cafetière. Lorsque j'entends nos anciens
humoristes, certaines vieilles chansons, certains vieux films,
livres, bandes dessinées... je me dis qu'on n'oserait plus,
aujourd'hui, dire les choses telles qu'on les disait il y a trente ou
quarante ans sans se faire traiter de raciste, se voir intenter un
procès pour xénophobie, antisémitisme et autres formes
d'expression devenues douteuses même sous forme d'humour.
Alors, les gens font profil bas,
s'inventent la compassion et jettent un regard noir au malappris qui
oserait se réjouir ouvertement de la disparition d'une personne qui
n'a pas fait que du bien et carrément du mal, n'ayons pas peur de le
dire, à certaines classes sociales.
Je sais, je ne suis pas drôle. C'est
étrange, ces derniers temps, comme j'ai tendance à remuer des
choses tristes, alors qu'en moi-même, je ne suis pas comme ça.
J'aurais plutôt tendance à rire de tout, à balancer des sarcasmes
et à prendre la vie du bon côté.
Mais que voulez-vous ? Ai-je le
droit de rire quand j'apprends qu'on exhume les restes de Pablo
Neruda ? Vous le connaissiez, Pablo Neruda ? Moi non plus,
j'étais trop petit. Mais j'ai appris, quand même un peu, par la
suite, qui il était.
Ne pouvait-on pas laisser ses restes
reposer en paix ?
Et si un examen approfondi de la
dépouille nous apprend que le poète est mort empoisonné ou tué
par balle plutôt que d'un cancer, d'une crise cardiaque ou d'une
chaude-pisse, va-t-on exhumer Pinochet pour le lui cracher à la
face ?
C'était un brave type, Neruda. Les
morts sont de braves types et, avec le temps qui passe, tous les
morts finissent par le devenir. On oublie, on banalise.
Pinochet, ce n'était pas un brave
type. Même mort, ce n'est pas un brave type. Faut pas exagérer. Et
je ne vais pas parler de Mobutu, de Kadhafi ou d'autres personnes
encore pires que celles-là, sinon je vais gagner un point Godwin.
Mais je veux dire que le temps efface
tant de choses que, bientôt, toutes ces personnes, tous ces gens ne
seront qu'un bout d'histoire que nos descendants finiront par
banaliser.
Quand on dit « Armstrong »,
aujourd'hui, les gens pensent à Lance Armstrong. Pas à Neil
Armstrong. C'est plus ancien, si ancien qu'on oublie déjà ce petit
pas pour l'homme et ce grand pas pour l'humanité (comme le disait je
ne sais plus qui).
Et puis, je parle des morts et des
vilains tricheurs, alors que chez nous, les vivants ne rigolent pas :
on vient de battre le record de faillites mensuelles. Ce n'est pas
drôle.
Pas drôles non plus, les deux morts de
Koh-Lanta. Le concurrent, puis le toubib. C'était pourtant de
braves types, je crois. Le positif de l'affaire, c'est qu'on est
débarrassés de l'émission. Pourvu que ça dure !
S'il pouvait y avoir un empoisonnement
à Top Chef ou à Master Chef, un noyé à Fort
Boyard, un suicide à Secret Story
ou quatre disparitions à Pékin Express,
ça arrangerait peut-être mes soirées télé. D'autant plus qu'on
arrête Julie Lescaut.
Enfin, pas elle. La série. Déjà que le mois dernier, la télé
belge diffusait la saison 1 de Game of thrones
sur la deux, ce qui empêchait de regarder les petites bêtes sur la
première : Le jardin extraordinaire
suivi de Joséphine, ange gardien ;
ça la foutait mal !
Non, ce n'est pas drôle, ce que je
raconte. Que des trucs foireux ou cafardeux. Même la météo,
toujours mauvaise. Et rien à la loterie.
Si, quand même une bonne nouvelle dans
la tourmente : les Chinois se mettent à la bière. De plus en
plus, comme on l'annonce chez AB InBev. Quand ils auront pris goût à
la bière trappiste, ils se mettront peut-être au catholicisme ?
Mais je rappelle que pour la
Westvleteren XII, ils devront se lever tôt, ces p... de moines
refusant toujours d'augmenter la production !
Une autre bonne nouvelle (si on veut) :
il y a un nouveau disque de Carla Bruni. Moi, je m'en fous, mais ça
veut dire qu'elle est encore là. Des fois qu'on l'aurait oubliée...
Quelle bonne idée de conclure sur un disque de Carla Bruni ! Ça a égayé ma soirée...
RépondreSupprimerNeruda, un de mes poètes préférés, un grand artiste. En fait, beaucoup de ses proches pensent qu'il a été assassiné par les partisans de la dictature de Pinochet. C'est pour avoir confirmation ou infirmation de l'empoisonnement qu'il y a exhumation. L'occasion aussi pour le Chili de pouvoir enfin aborder la dictature et juger la dictature, ce qui comme pour l'Espagne de Franco n'a jamais été fait. Parce que pression religieuse, pression politique de grands propriétaires terriens, de grands industriels qui ont vu leurs intérêts croître pendant la dictature pinochetiste.
RépondreSupprimerIl faut parfois un poète pour arriver à dépasser le côté obscur de notre monde. Un philosophe français, Charles Pépin, vient d'écrire et publier un petit essai qui s'intitule "quand la beauté nous sauve". Et ce n'est pas faux, même si en réalité la beauté ne nous empêche pas de mourir, de souffrir. Mais elle nous permet de supporter, parfois de dépasser les pires douleurs, nous rend capable de les affronter, d'en rire, simplement pour survivre. S'il n'y avait pas l'art, pourrions nous continuer à vivre en ce monde plus favorable aux stratégies les plus oppressives et guerrières qu'aux démarches humanistes? Pas sûr...
L'art est pourtant souvent tellement réduit à néant dans la mort, la fosse commune étant le lot de tellement de grands artistes.
Alors que les pires dictateurs, les pires politiques ont des obsèques, des mausolées. Peut-être parce que l'art reste intemporel et n'a donc pas besoin de tombeau somptuaire pour continuer d'exister à travers les siècles, alors que les tortionnaires ont besoin de matérialiser leur présence parce qu'ils savent d'avance leur vacuité et leur fugace temporalité.
Merci pour cette intéressante réponse !
SupprimerJ'ai eu peur quand vous avez mentionné les "pires politiques" et les obsèques, mais vous n'avez pas donné de noms.