J'ai toujours eu bonne conscience.
C'est probablement une question d'éducation et de respect des
coutumes, en même temps qu'une forme d'empathie vis-à-vis de mon
entourage.
Ma bonne conscience, je ne l'ai pas
inventée, parce qu'elle est issue de celle qui apaise les gens
ordinaires, la manière que nous avons tous de mettre sous
l'éteignoir scrupules et remords lorsqu'il s'agit de justifier une
action douteuse ou un comportement incivique et de nous pardonner
aimablement nos petits travers.
La manière la plus aisée, la plus
spontanée de s'absoudre d'une faute lorsqu'on ne peut la nier par un
vigoureux « non, ce n'est pas moi », c'est de la
collectiviser. Tout petits à l'école, nous apprenons soit à
désigner quelqu'un d'autre au moment où l'autorité essaie
d'identifier le coupable, soit à rendre tout un groupe complice de
nos actes.
Comme chacun le sait, les punitions
deviennent vite collectives. « Toute la classe a été punie »,
expliquerons-nous à nos parents. Et, adolescents, nous dirons, en
rapportant penauds les points de l'interrogation écrite :
« tout le monde a été busé ». Et d'ajouter :
« celui qui a le plus a eu huit sur vingt ». C'est vrai
que si même le meilleur échoue, notre note minable de deux sur
vingt, même si elle représente le quart de la performance du
bûcheur de la classe, devrait nous valoir le pardon.
Plus tard, nous grommellerons, en
haussant les épaules, que « tout le monde le fait »,
lorsqu'on nous reprochera un comportement peu reluisant :
l'excès de vitesse en voiture, le stationnement sur le trottoir,
l'utilisation d'un bien public à des fins privées, le dépôt
clandestin d'immondices, la petite fraude fiscale, la copie illicite d’œuvres protégées, le recours au
« travail en noir » pour une réparation de plomberie...
Parce que la sagesse populaire a
tendance à prétendre qu'une règle que (presque) tout le monde
transgresse est forcément inopportune, stupide et vexatoire.
Quand c'est le collectif qui commet la
faute, celle-ci n'existe plus. Au début, on y pense un peu, mais par
la suite, l'habitude aidant, le comportement entre dans les mœurs et
la loi en désuétude.
Dans le même genre que « tout le
monde », même si le terme paraît être son contraire, on
trouve « personne ». C'est juste une question de
langage : le « tout le monde a échoué » devenant
« personne n'a réussi ». À « tout le monde fait
ce qui est mal » se substitue « personne ne fait ce qui
est bien ». C'est un peu comme la notion de propriété, qui
veut que ce qui est à tout le monde ne soit à personne et ne doive
pas être obligatoirement respecté.
Certains vous diront donc, après avoir
barbouillé de graffitis un vieux mur dans une vieille ruelle :
« c'est à personne » ou « de toute façon, tout le
monde s'en fout, ce n'est même pas entretenu ».
Mais la collectivisation des fautes,
pratique très répandue chez les politiciens et autres gens de
pouvoir, n'est pas notre seule manière de nous donner bonne
conscience.
Nous l'apprendrons également : la vie est ainsi faite qu'après
qu'elle nous aura été donnée, nous devrons tôt ou tard la gagner.
En travaillant, souvent durement, pour un salaire de misère. C'est
ce que dira le bon peuple, qui connaît la valeur de l'argent.
De là viendra une autre excuse très
répandue : « je l'ai payé, je ne vais pas me gêner »
ou « avec tout ce que je verse d'impôts, j'ai bien droit à
ça ». Le premier prétexte excusera notre gourmandise, notre
tendance à profiter au maximum de ce qu'on a échangé contre notre
fric, le second servira à nous autoriser à considérer que les
biens et services mis à disposition de la collectivité le sont
surtout pour qu'on en abuse.
De l'échantillon de shampooing dans la
salle de bain de la chambre d'hôtel au morceau de viande emballé
discrètement pour le chien, en passant par le rouleau de papier-cul
et – là, c'est vraiment abuser – la serviette-éponge, le fait
d'avoir payé autorise tout. Y compris de salir la table et de ne pas
ramasser ce qu'on a fait tomber dessous, pas plus que d'utiliser les
équipements avec la même propreté et le même soin que ceux de
notre domicile. Parce que c'est payé et parce qu'il y a des gens qui
sont payés pour nettoyer.
Hôtel, restaurant, lieux de
villégiature... sont propices à ce genre de raisonnement. Mais chez
nous aussi, en famille ou à table avec des amis, les moyens de se
donner bonne conscience sont légion et j'aurais peine à tous les
citer.
Pour le verre de vin, de bière ou
d'alcool, il y a toujours une étude récente menée par des
spécialistes qui indique qu'un petit verre (et même deux) par jour
ne peut pas faire de tort et, même, serait bénéfique !
Certains produits « light »
étant plus ou moins réputés ne pas faire grossir, nous nous
octroierons peut-être le droit d'en consommer plus que de raison.
Nous évoquerons tour à tour les « produits naturels »
voire « les plantes » ; quant au régime, c'est bien
connu, il commence le lendemain.
Et s'il n'est pas question de régime,
en dernier recours nous dirons tout joyeux, en nous servant une
seconde copieuse ration : « Après tout, on ne vit qu'une
fois ».
Dans nos habitudes de riches – car
nous sommes riches, nous côtoyons des pauvres ou entendons parler
des pauvres. Nous savons que, loin de chez nous (mais parfois aussi moins loin qu'on ne le pense), des gens travaillent très durement
pour un salaire de misère. Et rien à voir avec notre salaire de
misère à nous et nos conditions de travail contre lesquelles nous
manifestons ou déclenchons des grèves (comme on en a le droit,
nous). Ces gens, miséreux, exploités, nous fabriquent nos fringues
de luxe avec leurs petites mains et des coups de pied aux fesses.
Nous achetons donc ces fringues à des intermédiaires qui s'en
mettent plein les poches, ce dont parfois nous prenons brièvement
conscience au hasard d'un reportage télévisé.
Et, au cours d'une conversation avec un
collègue ou un ami qui a également regardé l'émission surviennent
des échanges dans le genre de celui-ci :
— Tiens, ton pull, là. T'as vu à
combien ça revient, à la base ?
— Ouais. C'est dégueulasse, non ?
— Ils s'en foutent plein les poches,
ces exploiteurs. On devrait boycotter, tu ne crois pas ?
— Oui, mais non. Parce que si on
boycotte, les gens, là-bas, qui fabriquent tout, ils n'auraient plus
de boulot.
— C'est possible, oui.
— Et faut pas oublier que même avec
le peu qu'ils gagnent, ils nourrissent toute leur famille.
— Ah, ouais, c'est un peu vrai !
La bonne conscience, il n'y a que ça
de vrai.
Et maintenant que j'ai écrit tout ça,
j'ai bonne conscience comme après une confession.
Voilà, mon Père. Puis-je aller boire
une bonne bière trappiste, à présent ?
Je vends des consciences neuves, si besoin... N'hésite pas !
RépondreSupprimer"Dans nos habitudes de riches – car nous sommes riches, nous côtoyons des pauvres ou entendons parler des pauvres. Nous savons que, loin de chez nous (mais parfois aussi moins loin qu'on ne le pense), des gens travaillent très durement pour un salaire de misère."
RépondreSupprimerAlors comme ça nous sommes tous des riches?
Sortez un peu de votre quartier de bourgeois, regardez comment les gens vivent et fermez votre un peu votre claque-merde s'il vous reste une once de dignité.
Je connais des françaises ou des français qui travaillent comme des nègres toute la semaine pour des clopinettes, qui leur permet JUSTE de payer leur chambre de bonne sans douche, et de manger des pâtes 6 jours sur 7.
Vous n'êtes vraiment qu'un peigne cul, j'ose espérer que vos articles sont du dixième degré, sinon, c'est que votre cas relève de la psychiatrie.
Je ne crois pas qu'il soit nécessaire de dresser un procès d'intention à l'auteur de l'article ; la phrase "nous sommes riches" est à mon avis à replacer dans le contexte international du paragraphe. Et même si je suis persuadé que des gens de France ou de Belgique ou de pays européens vivent dans une grande détresse sociale et même parfois humaine, je ne sais pas si l'on peut comparer la situation à celle de pays comme le Bangladesh (auquel je pense parce qu'il défraie régulièrement la chronique avec des trucs sordidissimes...).
SupprimerAprès, si on veut, on peut toujours comparer : celui qui travaille comme un nègre pour se payer sa chambre de bonne dans Paris ; celui qui essaie de trouver un travail dans la cité poubelle d'une banlieue provinciale et qui partage un HLM avec pas mal de monde ; celui qui a arrêté d'essayer de chercher du travail et qui squatte un immeuble abandonné ; celui qui vient d'arriver, apatride, réfugié, ou autre, qui n'a même pas la possibilité de consulter un médecin ; celui qui va vivre la même chose dans un pays où il n'y a pas d'ONG...
Je ne crois pas que l'auteur voulait se lancer dans une course à la situation miséreuse. Mais je crois aussi que personne ne peut décemment contester que la France ou la Belgique sont des pays riches.
Après, la compréhension que vous avez eue de l'article tend à signifier que l'auteur aurait peut-être dû présenter ses idées autrement, mais de là à l'insulter de façon primaire...
En Belgique, nous sommes riches, oui. C'est pour ça que nous payons beaucoup d'impôts.
SupprimerEt tenir un blog ou lire ce qui se raconte sur le blog des autres et même y répondre à l'occasion, c'est aussi une habitude de riche.