lundi 3 juin 2013

On s'habitue

D'aucuns prétendent qu'on s'habitue à tout. Sans être aussi radical, je dirais qu'à la longue, les événements qui se répètent ont tendance à se banaliser. C'est d'ailleurs un des quelques principes fondamentaux du gag : la répétition et la non-répétition.

Supposons l'entrée d'un immeuble dont la porte vitrée est tellement propre que les gens ne la voient pas. On nous montre une séquence ou un type vient donner du front dans la paroi transparente et se retrouve le cul par terre. Si un peu plus tard une autre personne subit le même sort, puis une troisième, nous obtenons la répétition d'un événement qui, peu à peu, se banalise au point que ce sera sa non-répétition, lorsque quelqu'un franchira la porte sans problème, qui créera un nouveau gag. Le truc auquel on ne s'attend pas.

Dans le genre « pas drôle », nous avons les guerres, les attentats, les catastrophes. Une explosion qui fait une dizaine, une centaine de victimes, ça fait les gros titres dans l'actualité. Si de tels drames se reproduisent dans la même région, le même pays, dans les semaines qui suivent, ils finiront par passer au second plan : c'est la banalisation. Les cyniques demanderont : « Combien de morts, aujourd'hui ? »
Pour sortir de la banalité, il faudra quelques jours, quelques semaines de calme. C'est l'apaisement qui fera l'actualité.

Avec le sport, c'est un peu la même chose : les victoires de Nadal, de Federer, de Djokovic... ça ne surprend plus. C'est l'élimination au premier tour d'un tournoi majeur, des œuvres d'un quasi-inconnu, qui crée l'événement.

Nous, en Belgique, on est prompts à adopter des habitudes et à banaliser. Quand un de nos compatriotes, un cannibale par exemple, remportait une grande course, ça ne nous étonnait même plus. Cette banalisation nous empêchait d'apprécier encore la valeur de l'exploit. Et pourtant, tous les compétiteurs le savent : s'il est difficile de devenir le meilleur, le rester est encore plus compliqué.

Maintenant qu'on commence à faire notre deuil des performances de Kim et de Justine, on mesure peu à peu à sa juste valeur la chance que nous avions quand ces deux joueuses jouaient les finales des tournois les plus huppés. Et pourtant, les spécialistes nous l'avaient bien expliqué : c'était exceptionnel. Il est rare, pour un petit pays comme le nôtre, de pouvoir compter sur de tels talents ; et que deux à la fois, c'était vraiment un cadeau du Ciel, le truc exceptionnel qu'on ne risquerait plus de voir avant longtemps.

Il n'empêche qu'on banalisait ; et que quand aucune de nos deux vedettes ne parvenait à se hisser en finale, on considérait ça comme une contre-performance, une grosse déception.

Aujourd'hui, nous en sommes revenus à notre vieille manière de voir les choses : un Belge qui passe deux tours à Roland-Garros ou à Wimbledon, c'est à nouveau considéré comme une performance. Les pieds sur terre, nous songeons soudain que gagner là-bas, ce n'est pas facile ; et que ce n'est pas parce qu'on s'appelle Justine Henin ou Kim Clijsters que ça le devient soudainement. Elles avaient le talent, certes, mais aussi la volonté, tout le travail derrière...

En football, c'est un peu la même chose. Avant 1986, quand nous parvenions à nous qualifier pour la phase finale de la Coupe du Monde, c'était déjà un petit exploit. Et passer le premier tour, nous n'osions pas en rêver !

Notre demi-finale de 1986, même si elle fut perdue face à l'Argentine de Maradona, fit de nos joueurs de véritables héros, accueillis en triomphe sur la Grand-Place de Bruxelles à leur retour du Mexique.

Depuis, ils ont déçu, parce que nos exigences et nos espoirs étaient très élevés. Et pourtant, ils s'étaient qualifiés à chaque fois pour la phase finale, se hissant même au second tour ! Et nous étions déçus : contre-performance.

Ensuite, les phases finales nous sont passées sous le nez, la Belgique est descendue dans les profondeurs du classement de la FIFA et nous n'avons plus fait parler de nous que lorsque nous prenions des raclées, étions éliminés prématurément ou changions de sélectionneur.

Actuellement, notre jeune équipe soulève à nouveau les passions. Et pourtant, nous ne sommes pas encore qualifiés. Et si par malheur nous n'y parvenons pas, nous n'en voudrons pas à nos joueurs parce qu'ils seront passés tout près du ticket pour le Brésil.

Tout est relatif. Tout se banalise. Les victoires comme les défaites, quand elles s'enchaînent les unes aux autres dans des spirales positives ou négatives.

L'événement, ce serait l'élimination de l'Espagne ou du Brésil dès le premier tour de la phase finale ; l'Italie qui joue enfin convenablement ses premiers matchs et ne passe pas, ensuite, les quarts de finale ; l'Allemagne qui n'est pas dans le dernier carré... et une simple participation de la Belgique.

L'événement, ce serait un pape progressiste, de vraies négociations de paix au Proche-Orient, un Tour de France sans tricheur, un temps de saison à chaque saison et Ludovic Mir qui écrit des choses sérieuses.

Et tout ça, à mon avis, on n'est pas près de le voir.

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