lundi 24 juin 2013

La tire à Mir

J'étais chez le concessionnaire, à me balader dans le show-room pendant que ma tire était laissée aux bons soins des mécanos pour un entretien de routine et, mine de rien, les nouveaux carrosses me faisaient les yeux doux. Nul n'est besoin d'être un fanatique de la bagnole pour se laisser tenter à regarder, à toucher, à humer, à s'asseoir.

Le vendeur, qui passait justement par là pour surprendre mes regards curieux, me vanta les améliorations apportées au modèle du millésime 2013 par rapport au précédent, qui datait déjà de 2007. Je hochai la tête en songeant que la brave caisse qui m'emmène quotidiennement sans faillir depuis six longues années, et qui avoue déjà près de deux cent mille bornes, est encore d'une cuvée plus ancienne que les deux dont nous causions tranquillement.

Je louchai sur les immenses pare-chocs couleur carrosserie, qui n'ont plus de pare-chocs que le nom tant leur forme enveloppante est tarabiscotée par endroits dans le but d'accueillir ici une prise d'air, là des optiques complémentaires et au centre un galbe sensuel soulignant l'imposant logo de la marque. Le logo de la marque est d'ailleurs de plus en plus imposant, vous l'aurez sans doute remarqué vous aussi. La cause de cette mode est que la plupart des bagnoles se ressemblent et qu'il n'y a guère que les sigles qui permettent d'affirmer péremptoirement de quelle écurie elles sont issues.

Lorsque je demandai au vendeur à combien pouvait s'élever la facture de remplacement de l'appendice avant, il m'offrit une vague réponse dans laquelle il se montrait désolé de ne pas connaître les chiffres par cœur, le modèle de cette nouvelle collection venant à peine de débarquer du camion. Je traduisis aussitôt par « très cher, mais les assurances sont là pour ça ».

Je n'osai pas demander pourquoi il n'y avait plus de baguettes de protection latérale courant sur les portières, me contentant d'imaginer qu'il s'agissait d'un choix de designer attaché à la pureté des lignes plutôt qu'une décision d'un ingénieur faisant, comme tout le monde ou presque, ses courses le samedi au supermarché.

Une pensée émue me vint, alors que j'étais là, debout devant la belle carrosserie rutilante, et l'image de ma bonne vieille tire de six ans s'imposa par-dessus celle du nouveau modèle. Elle était là, en face de moi, présente moralement et absente physiquement, prête à me lancer non pas des reproches, mais des avertissements : « elle non plus, tu sais, elle ne restera pas comme ça, jeune, belle, virginale ».

Je revis ce petit renfoncement bizarre, en haut de l'aile arrière-droite : la peinture est intacte mais la tôle a pris un coup. Sur un parking, sans doute. Une portière ? Non, pas si haut. Et pas à l'arrière, comme ça. Un coup de chariot ? Oui, probablement. Mais pas avec le panier métallique, non. Avec le bout de la poignée, assurément. C'est à peu près la bonne hauteur.

Et les éraflures, dans le pare-chocs arrière ? Un indélicat qui est parti sans attendre, profitant de ce que personne n'avait rien vu de sa manœuvre manquée. Un pare-chocs peint, déjà, sur ma bonne vieille tire de six ans. Si joli mais si vulnérable et coûteux à remplacer !
Et les éclats de pierrailles, sur son pote de l'avant et sur le bord du capot ? Et les petits coups ici et là assenés par les maladroits du créneau ? Et ces fichues éclaboussures de goudron, si difficiles à enlever ?

Je secouai l'étrange torpeur qui m'envahissait.

- C'est bien joli, tout ça, dis-je soudain au vendeur, mais si délicat. Le moindre coup de portière, le moindre effleurement d'un crochet de remorquage... Vous n'en faites plus avec des pare-chocs anthracite et de grosses baguettes de protection latérales ?

Il m'expliqua qu'on n'en vendrait plus. Les gens n'aiment pas ça. Leur voiture doit être belle.

Peut-être, oui. Moi, je m'en fous, qu'elle soit belle, ma tire. En bon état, oui. Mais belle ?

Je ne mets pas ma vanité dans un tel objet, si vite démodé, si vite cassé. Je m'en fous qu'elle soit moche et démodée. Tout ce que je lui demande, c'est de s'ébrouer chaque matin quand je tourne la clé, et de m'emmener confortablement et sûrement là où je dois aller.

Je voudrais des pare-chocs et des protections latérales gris sombre, en plastique ; des phares aux formes simples et aux faisceaux efficaces sans ces pénibles ampoules H7 qui éclairent fort mais claquent deux ou trois fois par an ; un coffre facile d'accès, des sièges confortables aussi bien pour de courts que de longs trajets ; une bonne isolation acoustique et une installation audio qui fonctionne bien. De bons pneus, tout simples et efficaces, mais pas des trucs de plus de quinze pouces avec des indices de vitesse hallucinants qui font grimper la facture. Et les dispositifs de sécurité, bien sûr : l'ABS et les air bags, surtout.

Et pas besoin de grande cavalerie. Les chevaux, faut leur filer à becqueter, et j'ai pas le picotin pour rien.

Banale à l'extérieur, chouette à l'intérieur, voilà. C'est pas pour la galerie, c'est pour être bien dedans. Comme des pantoufles.

Alors, au vendeur, je lui ai dit que j'allais encore garder ma vieille caisse au moins un an ou deux. Et même trois. Sauf malheur, bien sûr, mais je suis prudent. Même quand j'ai bu de la bière trappiste.

4 commentaires:

  1. il y a "la tire à mir" mais il y a aussi le tiramisu!!!

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    1. C'est vrai que la tire à mi-sous ce serait moitié moins cher.

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  2. Bravo ! Sus aux emmerdeurs qui essaient de nous refourguer à chaque cycle une bagnole neuve d'un modèle vachement-mieux-parce-que-notamment-ils-ont-mis-un-nouveau-truc-dont-tout-le-monde-se-fout-mais-qui-rendra-jaloux-les-voisins !

    Et ta voiture, tu n'as pas envie qu'elle parle ? Qu'elle te raconte que tu es sur le point d'entrer dans une agglomération légèrement polluée ? Qu'elle t'annonce que tu as une consommation régulière d'alc... euh... pardon... d'essence ? Qu'elle te dise que tu as mordu sur la ligne blanche ? Et qu'elle ne te révèle surtout pas qu'il y a un contrôle radar au bout de la ligne droite...

    De toute façon, toutes les études récentes (ne portant pas spécifiquement sur les salaires annuels supérieurs à 1560150604860150 €) démontrent qu'en termes de rentabilité financière (et donc très probablement énergétique), il est bien évident qu'il faut garder sa voiture le plus longtemps possible. Mais accepter l'idée qu'il puisse être nécessaire d'aller au garage...

    Bien sûr, malheureusement, ça fait couler les grosses boîtes qui produisent des bagnoles pour les riches ou les endettés/endettables... Mais ces boîtes n'ont qu'à réfléchir !

    Enfin... on en a déjà parlé... Allons plutôt boire une bière !

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