J'étais chez le concessionnaire, à me
balader dans le show-room pendant que ma tire était laissée
aux bons soins des mécanos pour un entretien de routine et, mine de
rien, les nouveaux carrosses me faisaient les yeux doux. Nul n'est
besoin d'être un fanatique de la bagnole pour se laisser tenter à
regarder, à toucher, à humer, à s'asseoir.
Le vendeur, qui passait justement par
là pour surprendre mes regards curieux, me vanta les améliorations
apportées au modèle du millésime 2013 par rapport au
précédent, qui datait déjà de 2007. Je hochai la tête en
songeant que la brave caisse qui m'emmène quotidiennement sans
faillir depuis six longues années, et qui avoue déjà près de deux
cent mille bornes, est encore d'une cuvée plus ancienne que les deux
dont nous causions tranquillement.
Je louchai sur les immenses pare-chocs
couleur carrosserie, qui n'ont plus de pare-chocs que le nom tant
leur forme enveloppante est tarabiscotée par endroits dans le but
d'accueillir ici une prise d'air, là des optiques complémentaires
et au centre un galbe sensuel soulignant l'imposant logo de la
marque. Le logo de la marque est d'ailleurs de plus en plus imposant,
vous l'aurez sans doute remarqué vous aussi. La cause de cette mode
est que la plupart des bagnoles se ressemblent et qu'il n'y a guère
que les sigles qui permettent d'affirmer péremptoirement de quelle
écurie elles sont issues.
Lorsque je demandai au vendeur à
combien pouvait s'élever la facture de remplacement de l'appendice
avant, il m'offrit une vague réponse dans laquelle il se montrait
désolé de ne pas connaître les chiffres par cœur, le modèle de
cette nouvelle collection venant à peine de débarquer du camion. Je
traduisis aussitôt par « très cher, mais les assurances sont
là pour ça ».
Je n'osai pas demander pourquoi il n'y
avait plus de baguettes de protection latérale courant sur les
portières, me contentant d'imaginer qu'il s'agissait d'un choix de
designer attaché à la pureté des lignes plutôt qu'une
décision d'un ingénieur faisant, comme tout le monde ou presque,
ses courses le samedi au supermarché.
Une pensée émue me vint, alors que
j'étais là, debout devant la belle carrosserie rutilante, et
l'image de ma bonne vieille tire de six ans s'imposa par-dessus celle
du nouveau modèle. Elle était là, en face de moi, présente
moralement et absente physiquement, prête à me lancer non pas des
reproches, mais des avertissements : « elle non plus, tu
sais, elle ne restera pas comme ça, jeune, belle, virginale ».
Je revis ce petit renfoncement bizarre,
en haut de l'aile arrière-droite : la peinture est intacte mais
la tôle a pris un coup. Sur un parking, sans doute. Une portière ?
Non, pas si haut. Et pas à l'arrière, comme ça. Un coup de
chariot ? Oui, probablement. Mais pas avec le panier métallique,
non. Avec le bout de la poignée, assurément. C'est à peu près la
bonne hauteur.
Et les éraflures, dans le pare-chocs
arrière ? Un indélicat qui est parti sans attendre, profitant
de ce que personne n'avait rien vu de sa manœuvre manquée. Un
pare-chocs peint, déjà, sur ma bonne vieille tire de six ans. Si
joli mais si vulnérable et coûteux à remplacer !
Et les éclats de pierrailles, sur son
pote de l'avant et sur le bord du capot ? Et les petits coups
ici et là assenés par les maladroits du créneau ? Et ces fichues éclaboussures de goudron, si difficiles à enlever ?
Je secouai l'étrange torpeur qui
m'envahissait.
- C'est bien joli, tout ça, dis-je
soudain au vendeur, mais si délicat. Le moindre coup de portière,
le moindre effleurement d'un crochet de remorquage... Vous n'en
faites plus avec des pare-chocs anthracite et de grosses baguettes de
protection latérales ?
Il m'expliqua qu'on n'en vendrait plus.
Les gens n'aiment pas ça. Leur voiture doit être belle.
Peut-être, oui. Moi, je m'en fous,
qu'elle soit belle, ma tire. En bon état, oui. Mais belle ?
Je ne mets pas ma vanité dans un tel
objet, si vite démodé, si vite cassé. Je m'en fous qu'elle soit
moche et démodée. Tout ce que je lui demande, c'est de s'ébrouer
chaque matin quand je tourne la clé, et de m'emmener confortablement
et sûrement là où je dois aller.
Je voudrais des pare-chocs et des
protections latérales gris sombre, en plastique ; des phares
aux formes simples et aux faisceaux efficaces sans ces pénibles
ampoules H7 qui éclairent fort mais claquent deux ou trois fois par
an ; un coffre facile d'accès, des sièges confortables aussi
bien pour de courts que de longs trajets ; une bonne isolation
acoustique et une installation audio qui fonctionne bien. De bons
pneus, tout simples et efficaces, mais pas des trucs de plus de
quinze pouces avec des indices de vitesse hallucinants qui font
grimper la facture. Et les dispositifs de sécurité, bien sûr :
l'ABS et les air bags, surtout.
Et pas besoin de grande cavalerie. Les
chevaux, faut leur filer à becqueter, et j'ai pas le picotin pour
rien.
Banale à l'extérieur, chouette à l'intérieur, voilà. C'est pas pour la galerie, c'est pour être bien dedans. Comme des pantoufles.
Alors, au vendeur, je lui ai dit que
j'allais encore garder ma vieille caisse au moins un an ou deux. Et
même trois. Sauf malheur, bien sûr, mais je suis prudent. Même
quand j'ai bu de la bière trappiste.
il y a "la tire à mir" mais il y a aussi le tiramisu!!!
RépondreSupprimerC'est vrai que la tire à mi-sous ce serait moitié moins cher.
SupprimerBravo ! Sus aux emmerdeurs qui essaient de nous refourguer à chaque cycle une bagnole neuve d'un modèle vachement-mieux-parce-que-notamment-ils-ont-mis-un-nouveau-truc-dont-tout-le-monde-se-fout-mais-qui-rendra-jaloux-les-voisins !
RépondreSupprimerEt ta voiture, tu n'as pas envie qu'elle parle ? Qu'elle te raconte que tu es sur le point d'entrer dans une agglomération légèrement polluée ? Qu'elle t'annonce que tu as une consommation régulière d'alc... euh... pardon... d'essence ? Qu'elle te dise que tu as mordu sur la ligne blanche ? Et qu'elle ne te révèle surtout pas qu'il y a un contrôle radar au bout de la ligne droite...
De toute façon, toutes les études récentes (ne portant pas spécifiquement sur les salaires annuels supérieurs à 1560150604860150 €) démontrent qu'en termes de rentabilité financière (et donc très probablement énergétique), il est bien évident qu'il faut garder sa voiture le plus longtemps possible. Mais accepter l'idée qu'il puisse être nécessaire d'aller au garage...
Bien sûr, malheureusement, ça fait couler les grosses boîtes qui produisent des bagnoles pour les riches ou les endettés/endettables... Mais ces boîtes n'ont qu'à réfléchir !
Enfin... on en a déjà parlé... Allons plutôt boire une bière !
Ha, ha, ha !
SupprimerSanté !!!