mercredi 4 décembre 2013

Mon banquier, sa modestie et sa pudeur

Les banquiers qui, comme nous le savons tous, sont les gardiens fidèles du petit épargnant et les bienfaiteurs de nos régimes ultralibéraux, savent user de formules tantôt pudiques, tantôt savantes lorsqu'il s'agit de nous en convaincre.

Pas plus tard qu'il y a quelques années, ils nous juraient, la main sur le cœur et alors que de vilains requins politicards ou d'obscurs promoteurs immobiliers les avaient roulés dans la farine, qu'ils souhaitaient veiller avant tout à la sauvegarde de notre tranquillité financière et qu'il n'était que logique que la collectivité se coupe en dix-huit (dans le sens de l'épaisseur) pour les sortir de ce mauvais pas, eux qui avaient tant fait pour notre bien-être.

C'est vrai qu'en y réfléchissant un peu, nous devons admettre qu'ils nous ont, au cours des années, bien amélioré le confort et la sécurité de nos existences. Ils nous ont d'abord dispensés de transporter une ou deux fois par mois l'enveloppe contenant la rétribution de nos efforts, en s'arrangeant avec nos employeurs pour qu'ils nous la versent directement sur le compte que nous avions été aimablement invités à ouvrir à cet effet. Quelle sécurité !

En récompense, nous étions accueillis par un guichetier souriant, tout prêt à nous rendre service et, par petites quantités si nous avions omis de l'en avertir, nos espèces durement gagnées.

Pour notre facilité et notre sécurité, ils ont créé l'eurochèque ; qu'ils ont ensuite supprimé pour notre sécurité et leur facilité – ou l'inverse, je ne suis pas sûr d'avoir tout compris sur ce coup-là.

Ils ont également créé le paiement par carte, les guichets pour le retrait automatique des billets et même la banque-soi-même et la banque-en-ligne.

Au début, les retraits au guichet étaient gratuits. Les virements (nous remplissions le formulaire et ils se chargeaient de l'encodage et de l'exécution) aussi, tant qu'on n'en faisait pas beaucoup. Et puis, pour plus de sécurité (pour nous – un hold-up, c'est désagréable), ils ont supprimé les retraits gratuits au guichet, réduit le nombre de virements inclus dans les frais forfaitaires et viré les deux tiers de leurs agences et les trois quarts de leurs employés. Grâce à ces mesures, ils ont pu rogner les frais et nous offrir un meilleur service. Normal : on fait tout nous-mêmes.

D'une grande modestie, les banquiers ont réduit leurs taux d'intérêt. Je veux dire : quand ils nous prêtent de l'argent qu'ils sont à peu près sûrs de pouvoir récupérer soit directement lorsqu'on les rembourse, soit en se remboursant eux-mêmes la mort dans l'âme au moyen de saisies.

Tout récemment, en allant chercher les relevés de mon compte-épargne, je prends connaissance de cette formule d'une extrême pudeur, imprimée sur un des feuillets humblement tendus par l'automate de l'agence : « À partir du 1er décembre 2013, le taux de base devient 0,50 % ; la prime de fidélité devient 0,10 % ».

Vous aurez certainement relevé l'usage du verbe « devenir », choix tactique approprié lorsqu'il s'agit d'annoncer une baisse.

Je me souvenais bien qu'avant ça, les taux étaient – eux aussi – d'une grande modestie, mais pas d'une manière suffisamment précise pour pouvoir affirmer à coup sûr que les nouveaux taux annoncés étaient plus ou moins généreux ; mais la formule très courtoise utilisée pour me le signifier ne permettait guère de doute. Vérification faite sur le ticket informatif du quinze mai de cette même année, les valeurs précédentes étaient fixées à 0,55 et 0,15 pour cent et annoncées au moyen de la même tournure sibylline.

Étant donné la faible quantité d'opérations effectuées sur mon compte-épargne (je n'ai pas les moyens d'y verser fréquemment des sommes importantes, et encore moins de les y laisser si je les y avais mises), le classement des relevés est une tâche rapidement menée qui ne m'a jamais incité à me débarrasser d'un historique qui tient, en dépit des années, dans un petit classeur au format A5.

En remontant au 2 avril 2012, j'ai trouvé un feuillet m'informant que le taux de base devenait 0,75 % et que la prime de fidélité « restait » à 0,25 %. Au 15 août 2009, le taux de base « restait » à 1,00 % et la prime de fidélité « passait » à 0,25 % ; mais il convient de signaler qu'au premier juillet, les chiffres « restaient » à 1,00 % et « passaient » déjà à 0,50 %.

L'objectif de ce petit exposé n'étant pas d'assommer le peuple avec des chiffres, je vous épargne quelques communications intermédiaires de la même eau, me contentant de signaler que la « prime d'accroissement », petite largesse supplémentaire, a été supprimée au 01/04/2009 alors qu'elle était de 0,50 %.

En remontant en juillet 2008, j'ai enfin trouvé un extrait de compte où mon banquier m'annonçait une modification en termes suffisamment précis pour que je n'aie pas à vérifier si la nouvelle était bonne ou mauvaise. Il utilisait les mots « augmente » et « augmentations » pour me signifier le passage du taux de base de 1,50 à 1,75 % et le passage des primes de fidélité et d'accroissement de 0,50 à 0,75 %.

En réalité, le langage du banquier est facile à comprendre : s'il ne dit pas que les conditions deviennent plus favorables pour l'épargnant, c'est qu'elles ne le sont pas.

En attendant, je peux le dire haut et fort : le petit épargnant est bien plus généreux que son banquier. Beaucoup plus.

Il suffit de voir le taux d'intérêt qu'il lui consent sur les découverts de son compte-courant !

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire