lundi 29 février 2016

Le bouquin alimentaire

Dans la vie, on ne fait pas toujours le job qu'on aurait aimé faire ; qu'il soit celui dont on rêvait quand on était encore tout petit ou celui auquel on a pensé, plus tard, au moment de choisir les études qui devaient nous gratifier de l'indispensable diplôme.

Il arrive qu'on mène à bien lesdites études et qu'on ne parvienne pas à décrocher un boulot en rapport, soit par manque de bol, soit par manque de motivation, soit par opportunisme pour autre chose... mais le plus souvent parce que certains débouchés ne le sont plus et qu'il y a dès lors davantage de candidats que de postes à pourvoir.

Quand on aime l'écriture et qu'un jour ou l'autre on s'est dit qu'on réussirait peut-être à en vivre, on ne l'a pas toujours fait en ignorant qu'on était occupé à s'enfoncer bien profondément le doigt dans l'œil. C'est bien connu, sauf des doux rêveurs – et, à voir la fréquentation de certaines pages de ce blog, je me dis qu'ils sont encore nombreux même si minoritaires : les romanciers qui vivent de leur prose sont rares.

Évidemment, quand ça réussit pour Untel qui n'écrit pas spécialement bien et dont les récits n'ont rien de bien original, on est prêt à se dire qu'avec de l'entêtement et beaucoup de bol, on pourrait nous aussi décrocher la timbale. Pourquoi pas ? Il est toujours permis de rêver !

D'un autre côté, avec un peu de réalisme, on peut aussi se donner à penser que, dans l'éventualité où le scribouillard aspirant à la gloire et à la fortune réussit un coup fumant – le genre « best seller » dès le premier ouvrage publié – qui le propulse au-devant de l'étalage des libraires, la suite risque bien d'être moins drôle.

Comme je l'écrivais au début, certaines personnes ont la chance de pouvoir exercer le métier qu'elles aiment, celui dont elles rêvaient, celui qui ne les lasse pas. Et j'appelle ça une chance, parce que quand il faut bosser pour gagner sa croûte, ce n'est pas toujours une partie de plaisir. Même celui qui a choisi un métier qui lui plaît, parfois, ça lui arrive d'en avoir plein le dos, d'avoir envie de tout laisser tomber ou de se tailler quelques mois aux Seychelles – à condition bien sûr d'en avoir les moyens !

Cette réflexion me venait à l'esprit récemment, parce qu'on m'avait mis dans les pognes un roman d'un auteur à succès – le genre dont on écrit le nom en très très grosses lettres sur la jaquette, le titre étant plus ou moins accessoire – et que je m'étais décidé non seulement à le lire, mais à le lire jusqu'au bout. Courageusement, par moments.

En toute honnêteté, j'avais lu le premier bouquin – tout au moins, le premier « best-seller », dont on a même par la suite tiré un film – écrit par cet auteur ; et je l'avais trouvé plaisant, avec un scénario sortant en partie de l'ordinaire. En partie, seulement, mais c'était déjà ça.

En vertu du sage principe conseillant de ne jamais tenter de rééditer une expérience réussie, je m'abstiens généralement de plonger sur le second roman d'un auteur ayant connu un succès fulgurant avec le premier. Autrefois, je n'y prenais garde et j'ai presque toujours été déçu. Autant du deuxième que du troisième, d'ailleurs. C'est comme ça, je n'y puis rien, mais c'est un peu comme au cinéma : les resucées artistiques sont rarement d'incontestables réussites, même si les chiffres de ventes restent flatteurs.

Ce roman que j'ai lu, il y a quelques semaines, m'avait été offert et j'avais tergiversé avant d'y toucher ; et puis, un jour, j'ai abandonné mes préjugés. Je me suis dit : « lisons ça sans arrière-pensée ». Las ! Scénario décevant ponctué d'invraisemblances grotesques, suspense mou du genou, personnages caricaturaux et écriture bas de gamme étaient au programme. Je sais : c'est une traduction et l'original est peut-être mieux torché dans la forme ; mais pour le reste... Bof, bof, bof !

L'auteur avait-il besoin d'écrire ce roman ? Probablement pas. Il est riche et célèbre.
L'auteur avait-il envie d'écrire ce roman ? Probablement pas. Le manque d'enthousiasme est flagrant.

Sûrement qu'il était harcelé par son éditeur, ou un truc du genre. Il n'avait pas trop envie, il n'avait pas trop d'idées... mais il fallait le faire.
Un peu comme moi, quand je pars bosser le matin et que l'enthousiasme n'y est pas. Dans mon cas, c'est alimentaire. Dans son cas à lui, ça ne l'est sans doute pas, mais ça revient un peu au même : il le fait parce qu'il le faut bien. Et puis, il y a d'autres auteurs que lui, moins riches et moins célèbres, mais qui ont un contrat et qui sont bien obligés de créer, même quand leur muse les cocufie.

Par contraste, le scribouillard qui s'amuse avec son blog ou avec ses bouquins qu'il refile à ses potes, quitte à se fâcher avec eux pour de bon ; ce scribouillard-là, qui a un job « alimentaire » par ailleurs, il fait ce qu'il veut : il écrit, il n'écrit pas. Qu'importe ! Il fait ce qu'il a envie de faire.

Il ne sera ni riche ni célèbre, mais ça le dispensera de faire un jour de son hobby une corvée rien que parce qu'il en a besoin pour boucler ses fins de mois ou parce qu'un mec le pousse dans le dos en lui rappelant les engagements qu'il a pris.

Comme quoi, parfois, on se console comme on peut.

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