jeudi 31 mars 2016

Le blues du dentiste

Parfois, il m'arrive de songer qu'il faut être un peu masochiste, un peu sadique, un peu casse-cou, très optimiste ou rabat-joie pour choisir d'exercer certains métiers. C'est vrai que, parfois, on ne choisit pas vraiment : les circonstances, les vieilles habitudes familiales, le manque de diplôme ou tout un tas d'autres raisons peuvent faire que le job qui nous occupe n'a rien d'une passion, mais ce n'est pas ce qui s'applique à tout le monde.

Disons que certains métiers lourds, pénibles, mal payés... on s'y lance faute de mieux ; alors que, tout compte fait, croque-mort, gastroentérologue, pilote de chasse, coureur automobile, artiste-peintre, dentiste... ont plutôt l'apparence de choix personnels que l'on aurait pu éviter si l'envie nous en avait pris.

Dentiste, précisément. Voilà un métier bizarre. Peu de personnes aiment aller chez le dentiste – ou alors juste pour lui dire bonjour s'il est sympa. Même les masochistes hésiteraient, surtout si le dentiste, par sadisme, refusait de les faire souffrir.

Moi, je songe qu'il faut être un peu sadique pour pratiquer ce genre de job. Charcuter le patient qui se tient là, mandibules écartées sans pouvoir articuler un mot convenable, ce patient assailli par la fraise qui, en action, lui donne l'impression qu'on lui attaque les crocs à la mèche de douze au carbure de tungstène, ça doit procurer au praticien des sortes de petites joies sadiques.

Et, vous l'avez certainement remarqué : bien qu'il vous torture avec application, le bougre ne prend pas de risques. En aucune façon il ne glissera le doigt à portée de vos incisives. Ses instruments sont métalliques, du genre costaud inoxydable, et le tuyau de plastique qui aspire bruyamment votre bave n'a pas grand-chose à craindre lui non plus.

Il y a quelques jours à peine, je me rendais chez ma dentiste pour la visite annuelle de contrôle, détartrage à la clé. Elle a beau être très sympathique, ma dentiste, j'aimerais mieux m'installer dans son fauteuil pour prendre l'apéro et tailler une bavette avec elle que pour me faire pilonner les maxillaires. D'ailleurs, en guise d'apéro, elle m'offre juste de l'eau – et encore, je la paie avec le reste des soins ! – pour me rincer la cavité buccale. Rien à voir avec un quelconque breuvage destiné à me rincer la dalle.

C'est pourtant vrai qu'elle est sympathique, ma dentiste, mais elle possède ce petit humour sadique qui consiste à me lancer un « si je vous fais mal, vous le dites ! » auquel je ne puis répondre que par des « hon-hon » gutturaux accompagnés de borborygmes et de tentatives maladroites de déglutition.
« Là, je vous ai fait mal ! », glisse-t-elle parfois lorsque mon attitude se fait soudain moins docile que souhaité. « Ghrreeeuuu... », réponds-je en obligeant mes mains à rester bien en place et en réprimant une brusque envie de filer.

« Ça va ? » s'inquiète-t-elle ensuite tandis que je me rince la bouche et abreuve le crachoir. « Oui, ça va », dis-je pour la rassurer contrarier, « mais ce n'est pas drôle, hein ! ».
« Qui vous a dit que ce serait drôle ? » répond-elle tranquillement tandis que ses yeux pétillent de malice.

Elle est franchement sympa, mais je suis franchement content de n'aller la voir qu'une fois par an. Une fois par an parce que j'ai de bonnes dents. Alors, ça suffit.

Mais tout le monde n'a pas cette chance. En lisant, sur ce blog, les mésaventures des gencives d'une consœur scribouillarde, je me dis que j'ai quand même de la chance de ne subir aucun problème sérieux de ce côté-là. Plutôt que d'un bon dentiste, il vaut mieux bénéficier de bonnes dents.

Et puis, on ne sait jamais. Comme Boris Vian, plutôt que sur une charmante dentiste, on peut tomber sur le plombier.

vendredi 18 mars 2016

Médecine préventive

Les lois, c'est un peu la médecine de la connerie. De la même façon que s'il n'y avait pas de douleurs, nous n'aurions pas besoin de paracétamol ou que s'il n'y avait pas de maladies nous n'aurions pas besoin de médecins ; si nous étions débarrassés de notre connerie, nous pourrions nous passer de lois.

Quelque part, malgré tout, la médecine, c'est difficile à éviter. En vieillissant, on souffre : les articulations, le cœur, les intestins, les yeux, les oreilles, la prostate... L'usure fait du dégât. Mais enfin, quand on y réfléchit bien, tant qu'on n'a pas mal, il est inutile de prendre des antidouleurs. Le paracétamol à titre préventif, je ne trouve pas ça très efficace. C'est un peu comme crier « au feu » quand il n'y a pas d'incendie. À force, nos appels au feu, les pompiers vont s'en battre les burnes avec la pelle à tarte ; et le jour où la bicoque flambera pour de bon, si nous ne grillons pas avec nous aurons largement le temps d'admirer le spectacle.

Pour la majorité d'entre nous, les lois, ça ne sert à rien. À nous enquiquiner, de temps à autre, c'est sûr, mais nous n'en avons pas besoin pour savoir que telle chose est bien et telle autre pas bien.

Mais évidemment – et malheureusement, la connerie humaine étant sans limites, l'égoïsme, la jalousie, la cupidité, le mensonge, la violence, l'avarice et, d'une manière générale, le manque d'empathie, sont des dérives qui nous guettent à tout moment et qui font que des lois qui ne seraient vraiment utiles qu'à une minorité s'adressent à l'écrasante majorité (je n'ai pas écrit « à tout le monde », puisque, comme chacun sait, certaines personnes sont décidément au-dessus des lois). Donc, quelque part, les lois, c'est souvent une forme de médecine préventive : l'aspirine pour éviter l'éventuel mal de crâne, le sirop avant de ressentir la moindre envie de tousser, le laxatif pour prévenir la constipation et les deux pieds dans le plâtre pour protéger des fractures.

Le Monde est merveilleux, non ?

Comme monsieur Trumpette, peut-être futur président de notre modèle de société, qui va soigner toutes les maladies les plus graves grâce à une bonne médecine préventive : vaccin contre l'immigration, cachets contre l'homosexualité, sirop contre les Latinos, spray anti-musulmans et, surtout et avant tout, injecteurs personnels de dragées contre le banditisme. Tous ces remèdes préventifs étant à utiliser sans modération, bien entendu.

Enfin, on n'en est pas encore là. Peut-être même que Hillary va tuer dans l’œuf la prescription préventive républicaine. Sait-on jamais ?

Si elle y parvient, rappelons-lui néanmoins qu'il n'y a « no safe sex without latex », quelquefois qu'il lui prendrait l'envie, une fois installée à la Maison Blanche, de vouloir laver un vieil affront avec la complicité d'un jeune stagiaire.

lundi 29 février 2016

Le bouquin alimentaire

Dans la vie, on ne fait pas toujours le job qu'on aurait aimé faire ; qu'il soit celui dont on rêvait quand on était encore tout petit ou celui auquel on a pensé, plus tard, au moment de choisir les études qui devaient nous gratifier de l'indispensable diplôme.

Il arrive qu'on mène à bien lesdites études et qu'on ne parvienne pas à décrocher un boulot en rapport, soit par manque de bol, soit par manque de motivation, soit par opportunisme pour autre chose... mais le plus souvent parce que certains débouchés ne le sont plus et qu'il y a dès lors davantage de candidats que de postes à pourvoir.

Quand on aime l'écriture et qu'un jour ou l'autre on s'est dit qu'on réussirait peut-être à en vivre, on ne l'a pas toujours fait en ignorant qu'on était occupé à s'enfoncer bien profondément le doigt dans l'œil. C'est bien connu, sauf des doux rêveurs – et, à voir la fréquentation de certaines pages de ce blog, je me dis qu'ils sont encore nombreux même si minoritaires : les romanciers qui vivent de leur prose sont rares.

Évidemment, quand ça réussit pour Untel qui n'écrit pas spécialement bien et dont les récits n'ont rien de bien original, on est prêt à se dire qu'avec de l'entêtement et beaucoup de bol, on pourrait nous aussi décrocher la timbale. Pourquoi pas ? Il est toujours permis de rêver !

D'un autre côté, avec un peu de réalisme, on peut aussi se donner à penser que, dans l'éventualité où le scribouillard aspirant à la gloire et à la fortune réussit un coup fumant – le genre « best seller » dès le premier ouvrage publié – qui le propulse au-devant de l'étalage des libraires, la suite risque bien d'être moins drôle.

Comme je l'écrivais au début, certaines personnes ont la chance de pouvoir exercer le métier qu'elles aiment, celui dont elles rêvaient, celui qui ne les lasse pas. Et j'appelle ça une chance, parce que quand il faut bosser pour gagner sa croûte, ce n'est pas toujours une partie de plaisir. Même celui qui a choisi un métier qui lui plaît, parfois, ça lui arrive d'en avoir plein le dos, d'avoir envie de tout laisser tomber ou de se tailler quelques mois aux Seychelles – à condition bien sûr d'en avoir les moyens !

Cette réflexion me venait à l'esprit récemment, parce qu'on m'avait mis dans les pognes un roman d'un auteur à succès – le genre dont on écrit le nom en très très grosses lettres sur la jaquette, le titre étant plus ou moins accessoire – et que je m'étais décidé non seulement à le lire, mais à le lire jusqu'au bout. Courageusement, par moments.

En toute honnêteté, j'avais lu le premier bouquin – tout au moins, le premier « best-seller », dont on a même par la suite tiré un film – écrit par cet auteur ; et je l'avais trouvé plaisant, avec un scénario sortant en partie de l'ordinaire. En partie, seulement, mais c'était déjà ça.

En vertu du sage principe conseillant de ne jamais tenter de rééditer une expérience réussie, je m'abstiens généralement de plonger sur le second roman d'un auteur ayant connu un succès fulgurant avec le premier. Autrefois, je n'y prenais garde et j'ai presque toujours été déçu. Autant du deuxième que du troisième, d'ailleurs. C'est comme ça, je n'y puis rien, mais c'est un peu comme au cinéma : les resucées artistiques sont rarement d'incontestables réussites, même si les chiffres de ventes restent flatteurs.

Ce roman que j'ai lu, il y a quelques semaines, m'avait été offert et j'avais tergiversé avant d'y toucher ; et puis, un jour, j'ai abandonné mes préjugés. Je me suis dit : « lisons ça sans arrière-pensée ». Las ! Scénario décevant ponctué d'invraisemblances grotesques, suspense mou du genou, personnages caricaturaux et écriture bas de gamme étaient au programme. Je sais : c'est une traduction et l'original est peut-être mieux torché dans la forme ; mais pour le reste... Bof, bof, bof !

L'auteur avait-il besoin d'écrire ce roman ? Probablement pas. Il est riche et célèbre.
L'auteur avait-il envie d'écrire ce roman ? Probablement pas. Le manque d'enthousiasme est flagrant.

Sûrement qu'il était harcelé par son éditeur, ou un truc du genre. Il n'avait pas trop envie, il n'avait pas trop d'idées... mais il fallait le faire.
Un peu comme moi, quand je pars bosser le matin et que l'enthousiasme n'y est pas. Dans mon cas, c'est alimentaire. Dans son cas à lui, ça ne l'est sans doute pas, mais ça revient un peu au même : il le fait parce qu'il le faut bien. Et puis, il y a d'autres auteurs que lui, moins riches et moins célèbres, mais qui ont un contrat et qui sont bien obligés de créer, même quand leur muse les cocufie.

Par contraste, le scribouillard qui s'amuse avec son blog ou avec ses bouquins qu'il refile à ses potes, quitte à se fâcher avec eux pour de bon ; ce scribouillard-là, qui a un job « alimentaire » par ailleurs, il fait ce qu'il veut : il écrit, il n'écrit pas. Qu'importe ! Il fait ce qu'il a envie de faire.

Il ne sera ni riche ni célèbre, mais ça le dispensera de faire un jour de son hobby une corvée rien que parce qu'il en a besoin pour boucler ses fins de mois ou parce qu'un mec le pousse dans le dos en lui rappelant les engagements qu'il a pris.

Comme quoi, parfois, on se console comme on peut.