vendredi 18 novembre 2011

Westvleteren : p... de moines !

Il y a bien longtemps, les compagnons de la joyeuse robe de bure avaient pris pour coutume de fabriquer de la bière et du fromage, entre autres denrées, à l’abri des murs épais de leurs abbayes. L’échange ou la commercialisation de leur production leur permettait de subsister, dans la chasteté et le dénuement, tout en se vouant à la prière. Un sage programme qui leur valait le doux surnom de « moines trappistes ».

Au fil des ans, les bières d’abbaye se sont si bien répandues qu’elles ont peu à peu échappé à la mainmise des vaillants pères trappistes pour tomber dans l’escarcelle de la grande industrie brassicole. Nous trouvons donc aujourd’hui sur le marché quantité de bières d’abbaye, mais les véritables « bières trappistes », encore brassées par les moines trappistes au sein des murs abbatiaux, sont devenues rares et font l’objet d’une appellation d’origine protégée.

Il resterait donc six véritables bières trappistes de par le monde, dont cinq originaires de Belgique. Hourra ! Voilà donc au moins quelque chose que la Terre épicurienne tout entière nous envie au moins autant que le gratin diplomatique tient en haute estime notre capacité à négocier interminablement pour tenter de former un gouvernement de plein exercice (j’ai réussi à la placer, celle-là) !

La vie suivrait encore paisiblement son petit bonhomme de chemin au pays de la bière catholique, des moules-frites et de la crise politique, si les Américains s’étaient abstenus d’intervenir. Parce que quand il s’agit de foutre le bronx quelque part, ceux-là, ils en connaissent un bout !

Il y a quelques années, quelques illuminés d’outre-Atlantique ont lancé un sondage sur un site Web, sondage au terme duquel la bière trappiste « 12 » de l’abbaye de Westvleteren a été élue « meilleure bière du monde ».
Comme s’il y avait une meilleure bière, un meilleur vin ou les meilleures frites du monde, sinon dans l’esprit de ceux qui les produisent (qu’un producteur soit convaincu de l’excellence de ce qu’il fabrique, c’est compréhensible) ! Il y a tant de plaisirs gustatifs ici et là qu’il faut être particulièrement bas de plafond pour se livrer à ce genre de sondage.

Cela serait purement anecdotique si cette cornichonnerie américaine n’avait pas accouché d’effets particulièrement pervers. Le premier étant un engouement anglo-saxon pour ladite bière trappiste de Westvleteren, entraînant une hausse de la demande.

Bien qu’on le leur ait souvent demandé, ces putains de moines trappistes de Westvleteren, contrairement à leurs confrères des autres abbayes, ont toujours refusé d’augmenter leur production pour satisfaire à la demande ! Ils ne sont pas là pour s’enrichir, disent-ils, et la vente de ce qu’ils fabriquent suffit déjà amplement à couvrir leurs modestes besoins.

Il convient en outre de préciser que cette confrérie de tonsurés refuse de confier la vente et la distribution de son nectar aux brasseurs et aux cafetiers ! La « Westvleteren 12 » est en vente exclusivement à l’abbaye. Et n’imaginez pas pouvoir vous pointer chez les moines pour vous porter acquéreur de six casiers ! C’est strictement contingenté à un ou deux casiers par ménage, sur présentation de documents officiels et autres conneries de haut vol.

Résultat des courses : un trafic monstre dans les parages de l’abbaye, où l’on voit des casiers de bière passer de coffre de voiture en coffre de voiture moyennant espèces (et généreux bakchichs à la clé). En fin de course (lisez : aux States), le breuvage est vendu à un prix exorbitant, pour le plus grand plaisir des petits malins qui se remplissent les poches au passage.

Mais attendez : ce n’est pas fini.

Récemment, la troupe de joyeux trappistes s’étant rendu compte de l’état de délabrement avancé de certaines parties de son abbaye et de l’urgence d’entreprendre quelques travaux de consolidation avant que l’édifice ne s’écroule de lassitude, une menue opération commerciale a été lancée : la production d’un lot de packs exclusifs de six bouteilles et deux verres, dont la vente a été confiée à une chaîne belge de magasins d’alimentation.

Cependant, afin d’éviter de faire les choses simplement, les tonsurés ont également mis dans le coup un quotidien et deux hebdomadaires du pays, qui offraient dans une de leurs éditions un « bon » sans lequel il n’était pas possible de se porter acquéreur d’un des précieux packs de « Westvleteren 12 ».

Donc, nanti de l’indispensable bon d’achat et de la somme de vingt-cinq euros, l’amateur avisé n’a pas manqué de se presser, le 3 novembre, avec ses semblables et bien avant l’heure de l’ouverture, devant les portes d’un magasin commercialisant la précieuse denrée.

Faute de pouvoir dénombrer les mécontents générés par l’opération, je me contenterai d’énoncer ci-dessous les principales causes de leur frustration.

Il n’y avait plus, chez le libraire, de quotidien et d’hebdomadaire participant à l’opération.
De nombreux exemplaires desdits quotidiens et hebdomadaires ne contenaient pas le précieux bon.
Il n’y avait plus de packs de bière dans les magasins une demi-heure après l’ouverture.
Les caissiers des magasins étaient inflexibles : pas de bon, pas de bière.

Le résultat des courses est visible dès à présent sur les sites de vente aux enchères. Je ne donnerai pas de chiffres, ils sont continuellement à la hausse. Allez donc voir vous-même.


Immoralité : en refusant d’augmenter leur production de bière sous prétexte du refus de s’enrichir, les moines trappistes de l’abbaye de Westvleteren permettent à des profiteurs de tout poil de se remplir les poches ; alors que fabriquer davantage mettrait fin à la plupart de ces magouilles.
Et si la mise en route de brassins supplémentaires leur rapportait trop de pognon, aux tonsurés, qu’ils fassent don de leurs bénéfices aux nécessiteux : les villes et les campagnes sont pleines de misères à soulager. La charité chrétienne, ça devrait encore exister, non ?

Vous savez quoi ?
Si ces putains de moines de Westvleteren pouvaient se noyer dans leur cuve à bière ou se laisser ensevelir sous les vieilles pierres de leur abbaye, je ne serais certainement pas le dernier à m’en réjouir.

5 commentaires:

  1. Mdr oh les pauvres, ils sont justes super naïfs ou super flemmards, non ??
    super drôle cet article ! tu pourrais bien en tirer une nouvelle de cette histoire.

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  2. pourquoi j'utilise trois fois le mot super ci-dessus, moi ???

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  3. Stoni: un effet pervers du narcissisme....
    ludovic: elle est bonne, au moins, cette bière? et il faut jamais oublier qu'en matière de commerce, les tonsurés et leurs copains curés en connaissent un morceau! Demande à l'acrobate (*) qui a chassé les marchands de son temple... Enfin, c'est ce qu'on raconte...
    (*) une histoire courte, mais pas belge:
    une américaine rentre chez un antiquaire et demande le prix d'un superbe et très grand crucifix; l'antiquaure répond: 50 000 euros! et l'a méricaine de pousser les hauts cris, de réfléchir et de demander: "et sans l'acrobate, c'est combien?"

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  4. Ha, ha, ha !
    Chez nous on dit : "Et pourquoi il a pas joué le derby Bethléem-Jérusalem ?" - "Parce qu'il était suspendu !"

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  5. J'en ai parlé à mon ami Bazouk ; il prétend déjà détenir une solution. Pauvres moines...

    (D'ailleurs, peut-être que la scène politique belge manque de génies ?)

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