— Allo, Chéri ? Y a un problème...
Ma femme est charmante. Parfois, elle me téléphone pendant mes heures de boulot – ce qui n'est pas grave – pour une question qui ne l'est pas davantage. Bien souvent, obtenir la réponse est une chose qui pour elle devrait se faire sans délai et surtout pas le soir après mon retour au bercail.
J'ai toujours considéré qu'il faut impérativement, pour obtenir de bonnes réponses, poser les bonnes questions.
— J'essaie d'imprimer un truc, mais ça ne marche pas.
— Un truc ? Quel truc ?
Chérie m'explique qu'elle a trouvé sur le Web une recette de cuisine intéressante, un bricolage génial... et qu'elle voudrait l'imprimer. Pas de chance : ça ne fonctionne pas.
J'ai à ce moment-là l'impression d'être une sorte d'employé d'un quelconque helpdesk tentant de comprendre par téléphone ce qui s'affiche sur l'écran du PC de sa correspondante. Après les interrogations les plus stupides – en apparence – visant à m'assurer que l'imprimante est bien branchée et allumée, le câble bien raccordé, qu'il y a de l'encre et du papier, aucun message d'erreur nulle part... Chérie est passablement agacée que je la prenne pour une pomme, tandis que je sens pointer en moi une once d'impatience, voire d'irritation.
En général, la communication prend fin sur des soupirs d'impuissance et sans que l'imprimante ait craché un seul feuillet. Le soir, Chérie pense à autre chose et moi aussi, et ce n'est que lorsque j'allume l'imprimante, le lendemain soir ou même plus tard, que le problème non résolu se rappelle soudain à mon bon souvenir. À peine branché, l'engin se lance dans l'impression répétée d'une recette de cuisine (qui ne servira pas dans l'immédiat puisque Chérie en a trouvé une autre dans ses bouquins). Un, deux, trois, quatre feuillets identiques sortent de l'imprimante avant que je ne réussisse à stopper le processus et à vider la print file.
Tout le monde a déjà fait ça : cliquer sur le pictogramme « impression » et, puisque ça ne marche pas, cliquer à nouveau et à nouveau et à nouveau... Nos ordinateurs ayant plus de mémoire que nous, mais aucun discernement, dix clics deviennent dix documents à imprimer dès que possible.
Il arrive que la raison du coup de fil soit vraiment préoccupante :
— Chéri, je crois qu'il y a un problème avec le chauffage...
— Hhuuuuh ?
— Ben oui. Ça ne chauffe pas. Les radiateurs sont froids.
— Holà !
C'est fâcheux. Parce qu'il faudra, sans se fâcher, poser de bonnes questions pour tenter d'identifier la cause du problème et essayer d'y remédier sans faire appel au chauffagiste. Surtout si c'est juste pour déplacer un curseur sur le programmateur, changer la pile de l'horloge ou vérifier qu'il y a du courant sur la ligne réservée au circulateur.
S'ensuit donc un interrogatoire serré – doublé d'une anxiété bien compréhensible suscitée par la crainte de voir survenir une lourde facture de réparation – au cours duquel, munie de son portable, Chérie me fait verbalement le portrait du thermostat d'ambiance, de la position des vannes et des disjoncteurs et de l'affichage des chiffres de température sur la chaudière.
C'est à ce moment que je songe à un bête bouton ; à cet inverseur « été / hiver » que j'ai dû, par mégarde, déplacer en suspendant la bicyclette dans le garage. Sur le moment, lorsque le pneu arrière a heurté la chaudière, je n'y avais pas pris garde, mais à la réflexion...
Faute avouée, faute pardonnée, même si j'ai l'air con au passage.
Il me revient un autre épisode préoccupant, qui commençait par un « Chéri, je crois qu'il y a un problème... »
Cette fois-là, le problème, c'est avec l'aquarium.
— Quel problème ?
— Ben, je sais pas, mais il y a une plaque de verre dans l'eau.
— Une plaque de verre ?
— Oui.
— Elle est comment, la plaque de verre ?
— Ben, verticalement, dans l'eau.
— Et c'est tout ?
— Ben... oui. Les poissons n'ont pas l'air de s'en faire.
— Ils disent rien ?
— Ha, ha, ha ! Tu te crois drôle ?
— Non, mais j'essaie de comprendre. C'est probablement un couvercle intérieur qui a basculé.
— Puisque tu le dis...
C'est quand même étrange, ce truc. J'ai dit « couvercle intérieur » pour ne pas m'inquiéter, mais ça me semble bizarre.
— Et tu es sûre qu'il n'y a rien d'autre ?
— Heu... Je vois d'autres morceaux de verre, en oblique, en haut.
— En haut ?
— Oui, de travers.
— L'aquarium est rempli ? Pas d'eau à l'extérieur ?
— Je te le dirais, s'il y en avait !
— Ouais...
Là, on ne rigole plus. Plus du tout. L'aquarium c'est, outre les poissons et le décor, trois à quatre cents litres de flotte que je n'aimerais pas voir se répandre dans mon salon !
Le soir, dès mon retour, j'évalue les dégâts : aucun problème à l'extérieur, mais le grand tasseau central reliant, en haut, la face frontale à la face arrière s'est décollé d'un côté et enfoncé en oblique dans le bac, suivi par les couvercles intermédiaires en verre translucide protégeant, en temps normal, les tubes d'éclairage des éclaboussures d'eau.
Un rapide examen me permet de constater, non sans frayeur, que les vitres « donnent de la flèche ». Elles se bombent sous la pression de l'eau. Aaaargh ! Pas de panique. Ne pas confondre vitesse et précipitation et, surtout, éviter de heurter le verre.
Je sors les seaux, le tuyau de plastique, débranche la pompe et le chauffage et, en douceur, entreprends de siphonner deux tiers du contenu. J'enlève également quelques grosses pierres pour que les poissons puissent encore évoluer sans rencontrer trop d'obstacles dans ce qu'il reste de flotte.
Les réparations causeront quelques jours de stress aux pauvres petites bêtes, car je ne veux pas vider ni déplacer le bac (intégré dans un bar). L'enlèvement complet du tasseau et le grattage des restes de colle seront des tâches enquiquinantes, autant que le nettoyage à l'acétone et la remise en place du tasseau (je ne répéterai pas les jurons, grommellements et emmêlements de pinceaux), cette dernière opération réclamant la mise en œuvre d'au moins quatre mains et deux grandes gueules (une, surtout). Pendant que Chérie maintient en place la plaque de verre, j'installe des lattes et de grands serre-joints qui me permettront de serrer fermement l'ensemble. Quarante-huit heures de séchage suivies d'un remplissage prudent... Tout ira bien. Ouf !
Au bureau, quand mon téléphone sonne, si une certaine suite de chiffres que je connais bien s'affiche sur l'écran, ce n'est pas nécessairement l'annonce de tracas, mais c'est toujours l'assurance d'avoir à répondre – immédiatement – à au moins une question. Des fois, c'est juste pour me demander si ça va.
Oui, Chérie, je vais bien. Et... et toi ?
Ben t'es un peu le McGuyver de ta femme, c'est gratifiant je trouve !
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