Je sais que tout le monde en parle et
que la plupart des gens s'en foutent, surtout ceux qui sont pauvres
et en mauvaise santé, mais comment, en ce 20 décembre 2012, ne pas
glisser un petit mot sur mon blog pour vous entretenir de ce qui
déchaîne autant de passions que d'indifférence ? La fin du
Monde.
Selon des personnes apparemment bien
informées, ce serait pour demain. À quelle heure ? Comment ?
Ça, on ne nous l'explique pas vraiment. Et quand on nous l'explique,
c'est dans des langages tellement divers que l'envie nous prend de
porter l'index à la tempe ou de lever les yeux au ciel, ce ciel qui
n'existera plus demain, ou après-demain, si on veut bien en croire
les prophètes du désastre appliqué à l'Humanité.
Voulez-vous que je vous dise ce que je
pense de tous ces illuminés ?
Bon, je n'ai peut-être pas besoin de
le dire, puisque je viens d'opérer le raccourci magique consistant à
inclure la réponse dans l'énoncé de la question ; style
« couleur du cheval blanc de Napoléon ».
Il y a des gens qui savent toujours
tout. Et ceux qui croient en savoir le plus sont généralement ceux
qui ne savent rien ; parce que les vrais savants vous le diront
toujours : « plus j'apprends, moins j'en sais ». Non
que le fait d'apprendre rende ignorant, mais l'instruction incite à
rendre modeste vis-à-vis l'infinité de ce qui reste à connaître.
Malgré cela, il y aura toujours des
gens qui savent tout mieux que tout le monde. Souvent, ces gens se
spécialisent dans un domaine particulier qu'ils s'imaginent
maîtriser comme personne ; mais à côté d'eux, vous en
trouverez qui ont des idées bien arrêtées sur tout.
A-t-on détroussé une jolie étudiante
ou violé une petite vieille ? Volé la grange du Père Lepoilu
ou incendié la mobylette du curé ? Tandis que les enquêteurs
mènent patiemment et professionnellement leurs investigations, le
voisin d'en face et cousin du boulanger répétera à tout qui veut
l'entendre dans un rayon de dix mètres à partir du coin du comptoir
de la buvette du club de foot où il exerce ses talents d'arrière
droit, que le coupable ne peut être bien sûr que Machinchose.
Chaque année, essentiellement au
printemps et à l'automne, des météorologues d'arrière-boutique
vous expliqueront qu'on va avoir un été pourri ou un hiver
exceptionnellement rude. Ils soutiendront leurs propos en affirmant
répéter ce qu'ils ont entendu à la télé ou à la radio ou lu
dans le canard local, parce que c'est bien connu : les
prévisions météo se font toujours sur le long terme.
Évidemment, ce qu'ils ont lu ou
entendu serait plutôt du genre : « on pourrait vivre un
été torride ou un hiver pluvieux », les prévisionnistes ne
pouvant que se baser sur des statistiques, des modèles plus ou moins
récents et des probabilités qui ne vaudront jamais que ce qu'elles
valent, pour se risquer à des prévisions dépassant la huitaine de
jours. Quand on a vécu deux ou trois étés torrides successifs, le
compère pourri a d'autant plus de chances de surgir, même si la
certitude sur le sujet demeure toujours aux abonnés absents.
Bien entendu, les prévisionnistes
d'opérette seront, dans les semaines et mois qui suivront leurs
prédictions, soit frappés d'amnésie au point d'oublier de vous
parler des bêtises qu'ils avaient proférées, soit exagérément
triomphalistes à coups de « je vous l'avais bien dit ! »
selon le degré de vérification de leurs prophéties.
En général, le prophète de base, bas
de plafond et fort en gueule, se contentera de prévisions binaires :
oui ou non. Hiver rude ou hiver doux ; été torride ou été
pourri. Il n'a qu'une chance sur deux de se tromper, ce qui lui en
donne tout autant de triompher.
Cette histoire de fin du Monde pour
demain relève de la même fantaisie : ça se produira ou ça ne
se produira pas. Peu importe la manière, finalement : rôtis,
noyés, pulvérisés, asphyxiés, irradiés... nous finirons demain
notre triste existence terrienne. Enfin, selon les tenants de
l'apocalypse imminente !
Alors, moi, je vais vous le dire
franchement : ceci n'est pas un adieu. La fin du Monde n'est pas
pour demain. On a le temps d'encore déconner un petit peu.
Au bureau, par exemple, ce midi, nous
avons pris l'apéro en nous disant que c'était peut-être le
dernier ; mais lundi nous remettrons ça en proclamant
joyeusement que nous l'avons échappé belle ! N'est-ce pas
merveilleux ?
Et puis, je vais aussi vous avouer
autre chose : je ne tiens pas à avoir l'air con. Comme ça
m'est déjà arrivé souvent, je ne devrais pourtant pas me soucier
d'être ridicule une fois de plus, d'autant que ça n'a jamais tué
personne et qu'un moment de honte est vite passé, mais toutes les
fois où ça s'est produit, c'était à mon corps défendant. Je ne
l'avais pas fait exprès.
Alors, si j'écris soudain « Adieu,
Monde cruel » dans mon message de ce soir, je suis absolument
sûr de me couvrir de ridicule. Demain, nous serons encore là. Et il
faudra que je m'explique. Je n'y tiens pas.
Je suis démodé mais pragmatique :
si je vous dis adieu et qu'après-demain nous sommes encore tous là,
que devrai-je faire ? Me taire ? De toute façon, j'aurais
l'air con.
Par contre, si je vous dis « à
bientôt » sur ce blog et que nous nous y retrouvons
effectivement encore demain et après-demain et l'an prochain...
j'aurai échappé au ridicule. À coup sûr.
Ce ne sera évidemment pas le cas pour
tout un tas d'illuminés qui vont avoir l'air con, mais con...
Alors, je vous dis : « À
bientôt pour un prochain message sur ce blog ».
Et si je me suis gouré, ben... plus
personne ne devrait être là pour me le rappeler, n'est-ce pas ?
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