Vous aurez certainement déjà remarqué
que, bien souvent, des commerces identiques se trouvent à proximité
les uns des autres, un peu comme s'il y avait vraiment un endroit, un
quartier pour les épiciers, les libraires, les quincailliers…
C'est généralement flagrant lorsqu'il
est question de débits de boissons : dans un village, les deux
bistrots sont généralement tout près l'un de l'autre sur la place
ou dans la rue principale. Ils sont même directement voisins, dans
bien des cas. Y aurait-il un endroit privilégié pour les
rendez-vous des soiffards ? Un point de chute obligatoire dans
l'ombre des platanes ?
Des spécialistes se sont penchés plus
d'une fois sur ce phénomène qu'on pourrait appeler « tactique
du marchand de glaces ».
Imaginons le modèle simple : la
mer pour la baignade, la plage pour la bronzette et, tout le long sur
quelques centaines de mètres, une digue où circulent bicyclettes et
promeneurs. C'est en cet endroit, tout en profitant d'une jolie vue
vers l'ouest pour les couchers de soleil, qu'on trouve les deux
marchands de glaces. L'un à côté de l'autre, au centre.
Au début, ce n'était pas comme ça :
ils s'étaient implantés aux extrémités, ou presque, comme pour un
juste partage de la clientèle. La boutique du nord attirant la
clientèle du nord, la boutique du sud, celle du sud. Mais
évidemment, entre les deux l'usage était flottant. Le raisonnement
logique des commerçants devint rapidement celui-ci : puisque
les gens qui se trouvent de mon côté viennent chez moi parce que
c'est plus près, il faut que je me rapproche du centre pour rafler
une partie de la clientèle qui hésite entre mon concurrent et moi.
De rapprochement en rapprochement, les
deux marchands de glaces se retrouvent finalement l'un près de
l'autre, au centre, ce qui leur permet à la fois de se trouver à
égale distance des extrémités de la digue et de ne pas être plus
éloignés l'un que l'autre de n'importe quel client potentiel.
Bien entendu, si la digue est longue,
les touristes installés aux extrémités auront du chemin à
parcourir ! Cela risque d'entraîner une désaffection du nord
et du sud au profit du centre. Sauf si…
Sauf si un troisième marchand de
glace, comprenant qu'un potentiel existe au bout de la digue, vient
s'installer là un beau jour. Une telle éventualité risque de
contrarier les deux compères qui ont glissé vers le centre en
négligeant les extrêmes et en se disant que les gens de là-bas
feraient toujours bien le déplacement pour venir à eux.
À moins de recourir aux pratiques
mafieuses (intimidation, menaces, sabotages…), les deux marchands
en place devront réagir en se rapprochant du nouveau concurrent, qui
lui essaiera aussi de se rapprocher. Le glissement progressif du
centre vers une des deux extrémités laissant une énorme brèche à
l'autre bout de la digue, nul ne s'étonnera qu'un quatrième larron
entre dans la partie…
Quand la plage est petite, la digue
courte, et qu'un ou deux points de vente suffisent parce que le
déplacement vers le centre se fait sans gros effort, le troisième
larron n'aura pas de raison de s'installer.
C'est ainsi que, dans les petits
villages, quand il y a deux bistrots, ils sont tout près l'un de
l'autre.
Vous vous demandez peut-être pourquoi
je vous raconte tout ça, avec les aubergistes et les marchands de
glace ; et vous songez sans doute que c'est à cause de l'été,
des vacances, du soleil et du penchant généralisé pour l'apéro et
les glaces. Et vous n'avez pas tort.
Mais après les vacances vient la
rentrée. Et qui dit rentrée dit « politique ».
En politique, c'est un peu comme avec
les marchands de glace et les bistrots de village : ils sont
concurrents, certes, mais bien plus proches les uns des autres qu'on
ne l'imagine de prime abord.
C'est très bon !!!
RépondreSupprimer(Et du coup, les deux tout derniers paragraphes sont presque superflus.)
CQP, aurais-tu simplement pu conclure...
Ha, ha, ha ! Aurais-je sous-estimé mes lecteurs ? C'est vrai que j'ai hésité, pour le dernier paragraphe.
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