mardi 15 février 2011

La crise politique belge pour les cancres (3)

Chapitre 3 : la Belgique de Grand-Papa

Après la défaite de l'Empire, le destin des Belges est à nouveau confié aux Hollandais. Nous devenons les Pays-Bas du Sud qui, par rapport à leurs voisins du Nord, sont dominés par le catholicisme. Et c’est rebelote avec les querelles d’Église, jusqu’à ce qu’on finisse par s’énerver un peu sur les protestants qui auront beau protester, rien n’y fera. Il faut dire que des Belges qui s’énervent tous ensemble pour distribuer des baffes et des coups de pied aux fesses, c’est suffisamment rare pour être souligné : à peu de chose près, on n’avait plus vu ça depuis la guerre des Gaules !

Plutôt que d’essayer une fois de plus de confier à quelqu’un d’autre la gestion de notre patrimoine brassicole, nos puissants voisins vont enfin décider de nous laisser faire notre tambouille nous-mêmes et reconnaîtront l’indépendance de la Belgique ! Pas tellement pour nous faire plaisir, mais pour éviter de favoriser un rival. Ils se mêleront quand même un peu de nos affaires lorsqu’il s’agira de nous aider à choisir notre futur roi. Comme nous ne voulons plus d’un Hollandais et que les Anglais ne voient pas d’un bon œil l’idée qu’on puisse faire appel à un Français, la frite est coupée en deux et on nous fourgue un Germain dont la famille doit avoir acquis ses lettres de noblesse dans la charcuterie : Léopold de Saxe-Cobourg-Gotha(*). On aurait pu faire appel à un descendant des Princes de Liège, des Ducs de Brabant ou des Comtes de Flandre, mais non : un étranger. Avec le recul, on s’aperçoit qu’il s’agit peut-être bien là de la première manifestation du sens du compromis que le monde entier nous envie : le compromis à la Belge.

Le compromis à la Belge consiste à éviter tout favoritisme en choisissant la solution qui mécontentera tout le monde ou, plus fréquemment, celle qui n’enthousiasmera personne, afin que tout le monde soit content. Je sais, c’est subtil, mais logique : quand tout le monde ne peut pas être content, autant que personne ne le soit ou que tout le monde soit fâché. C’est ça, le bon compromis. Un peu comme Clovis et le vase de Soissons, mais en plus sophistiqué.

Les signes avant-coureurs de la fameuse « question linguistique » datent de cette époque, quand le français est institué langue nationale. Encore un compromis qui devrait mettre tout le monde d’accord. En effet, personne ne parle le français. Je veux dire : dans le peuple, on ne parle pas français. On n’a rien à dire, et quand on le dit, c’est en wallon ou en flamand. Seuls les riches parlent le français. Ceux qui ont quelque chose à dire, et qui viennent aussi bien de Flandre que d’Anvers, du Brabant, de Liège…

Pour faire comme tout le monde, la Belgique se bâtit un empire colonial. C’est facile : on débarque quelque part où il y a des Noirs qui n’ont rien demandé à personne, on dit « c’est à nous » et on ajoute « on va civiliser les sauvages ». Comprenez : « on va s’en mettre plein les poches ». Je ne m’étendrai pas sur ce triste chapitre de notre histoire, qui durera jusqu’en 1960 (quand nous laisserons les Congolais s’occuper d’eux-mêmes), parce qu’il n’a qu’un rapport lointain avec notre crise politique actuelle. Je rappellerai juste les récents propos d’un Congolais, qui proposait de nous envoyer Kabyla pour remettre un peu d’ordre chez nous, puisqu’on lui envoie régulièrement nos ministres pour le conseiller quand ça ne va pas chez lui !

Revenons à la Belgique…

Sans le moindre esprit de gratitude pour avoir choisi une famille royale au sang bleu, les Germains décident de nous envahir, en 1914. Pas pour nous nuire, mais juste pour aller casser du poilu. Comme ils se sont engagés à nous défendre, les Anglais devront bien s’en mêler eux aussi, et nos champs de patates serviront une fois de plus de champs de bataille. Les Teutons s’apercevront qu’en plus d’écluser, le Belge sait jouer avec les écluses. Résultat : misères à l’Yser et enlisement du conflit.

Après la Première Guerre mondiale, une volonté de flamandisation du nord du pays se fait jour, en même temps qu’un malentendu qui perdure encore aujourd’hui et suscite toujours des rancoeurs : le soldat flamand recevait ses ordres en français. Mais on dit plus rarement que les officiers et les élites francophones qui les lui donnaient étaient souvent eux-mêmes d’origine flamande !

Le suffrage universel permet ensuite de constater que les Flamands sont les plus nombreux ; et la volonté de flamandisation du nord du pays se renforce.

Les divergences de vues entre Flamands et Wallons éclatent au grand jour : désaccord sur l’épaisseur des frites, le temps de cuisson des moules, le lieu d’épandage du lisier ou le budget de l’armée. D’un côté on agite la menace allemande sur notre patrimoine brassicole, de l’autre on dénonce notre collusion avec les Français auxquels on serait disposés à expliquer enfin comment cuire de bonnes frites.

Quand les Allemands remettent le couvert pour la pâtée, en 1940, on n’est pas prêts à les recevoir comme ils le méritent. L’occupant comprend vite le bénéfice qu’il peut y avoir à diviser pour régner, et il favorise les Flamands au détriment des Wallons.

À l’issue du conflit surgit un second malentendu qui perdure encore aujourd’hui et suscite toujours des rancoeurs : les Flamands étaient des collabos ! Mais c’est oublier que nous en avions aussi quelques-uns du côté wallon ! « Rex » est d’ailleurs devenu un prénom très fréquemment choisi pour le berger allemand (le chien, je veux dire).

Après la guerre, la question linguistique reste présente, mais le Belge a d’autres préoccupations, comme celle de reconstruire le pays et de faire vivre son industrie. C’est le temps des charbonnages et de la sidérurgie, industrie lourde qui assure l’essor et la richesse de la Wallonie. Comme nous manquons de main-d'œuvre, nous accueillons des Flamands, des Italiens et quelques Polonais pour faire le sale boulot… Nous nous moquons d’eux parce qu’ils ne comprennent rien à notre méthode de cuisson des frites ou parce qu’ils mangent des macaronis. Mais dans les mines et près des hauts-fourneaux, Piet, Jan, Jefke, Luigi, Pietro, Giovanni, Jerzy et bien d’autres s’intègrent petit à petit et apprennent… le wallon !

Grâce à l’essor industriel du sud du pays, nous pouvons investir dans l’infrastructure du nord, comme, par exemple, le port de Zeebrugge.

Dans les années 60, la sidérurgie marque son ralentissement et une industrie plus légère, plus moderne et pleine de promesses d’avenir s’installe dans le nord du pays, où il y a du terrain, de la main-d’œuvre et de l’ambition. C’est le commencement du déclin pour une Wallonie socialiste, syndiquée et enclumesque, qui s’englue au lieu de se réformer alors que la Flandre prend son essor.

C’est aussi dans les années 60 qu’est établie la frontière sans doute la plus stupide que la terre ait jamais portée et source d’une grande partie de nos problèmes les plus insolubles : la frontière linguistique.

Si vous aimez les histoires où on vous prouve que le ridicule ne tue pas, rendez-vous au prochain chapitre pour la dissection de la bête.

(*) Le gotha de l'empire du filet de Saxe et du jambon de Cobourg.

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