vendredi 1 juillet 2011

Canicule


8 h 01

Madame, Mademoiselle, Monsieur, bonjour. Et tout d'abord, merci d'être avec nous pour vivre ensemble le début de cette journée qui s'annonce caniculaire. Vous l'avez entendu : ce matin, nous enregistrons des perturbations dans les transports en commun. Nous rejoignons tout de suite Louis Dubus, qui se trouve en ce moment tout près du dépôt central du TEC, à Liège Robermont. Alors, Louis, que se passe-t-il ? Les autobus ne seraient-ils pas sortis du dépôt ?

Eh bien, si, Georges, les bus sont sortis. Du moins ceux dont les conducteurs prenaient leur service tôt ce matin. Mais dès sept heures, les véhicules sont rentrés un par un au dépôt, le personnel du mouvement ayant entamé un mouvement de grève pour réclamer de l'eau fraîche, en prévision des températures annoncées pour aujourd'hui.

N'avaient-ils pas déjà de l'eau ?

Oui, Georges, c'était déjà prévu, comme me l'a confirmé la porte-parole de la direction du TEC Liège, mais les conducteurs réclament trois litres de plus, soit une quantité de six litres pour leur journée. Les discussions sont en cours, mais selon nos premières informations, une proposition à quatre litres et demi a été rejetée.



9 h 15

Et voici un nouveau flash d’information consacré aux conditions caniculaires annoncées pour aujourd’hui. Comme toujours à la pointe de l’actualité, nous n’hésiterons pas à interrompre nos émissions habituelles pour vous tenir au courant de ce qui pourrait se produire en divers points de notre pays, tout en espérant que nous n’aurons à déplorer aucune tragédie. Nous allons interroger notre spécialiste Paul Faydouf, à l'institut de météorologie. Alors, Paul, confirmez-vous les prévisions d’hier ?

Hélas ! oui, Georges, je dois les confirmer. À l’heure présente, nous enregistrons déjà 19 degrés en Campine et en Gaume, et 14 degrés en bord de mer. Les derniers modèles statistiques prévoient une évolution vers des températures caniculaires de 31 à 33 degrés dans le centre, avec des pointes à 34 voire 35 par endroits, dans le sud du pays et dans le Limbourg. La côte ne sera pas épargnée, avec des pics à 27 degrés et une température de l’eau s’élevant à 15 degrés. Du jamais vu !

Peut-on donner des conseils à nos téléspectateurs ?

Oui, bien sûr, Georges. Et tout d’abord, de ne se déplacer qu’en cas d’absolue nécessité et de cesser de travailler aux heures les plus chaudes, soit entre onze et dix-huit heures. Il faut bien s’hydrater, en évitant les bières trappistes, trop alcoolisées, et les sodas, toujours trop sucrés. Si vous n’aimez pas l’eau plate, la bonne chope reste rafraîchissante à condition de ne pas en abuser, surtout si vous devez prendre le volant. Soyez prudent avec le vin blanc frais et le rosé, surtout en bag-in-box, toujours sévères pour le crâne. Ne sortez pas les barbecues, il fait assez chaud comme ça.

Eh bien, merci mon cher Paul. Nous rejoignons à présent Évelyne Marchand, réfugiée dans la galerie climatisée d’un grand centre commercial. Évelyne, m’entendez-vous ?

— …

Évelyne Marchand… c’est à vous.

Oui, Georges… aïe ! Faites attention, s’il vous plaît. Oui, disais-je… pardon… oui… je me trouve ici au milieu des caddies dans la galerie marchande, tout près de l’accès… oh là là… de l’accès à l’entrée et de la sortie des caisses… ouïe ! Pardon. Oui, passez par là, s’il vous plaît… Bon, je suis désolée, Georges, mais ici c’est intenable…

Déjà, Évelyne ?

Oui… Je vais me déplacer parce qu’ici, c’est de la folie. Les gens sont venus très tôt faire leurs emplettes et, surtout, d’importantes provisions d’eau… Il y a même des chauffeurs des TEC venus spécialement en autobus pour embarquer des bouteilles d'un litre et demi... Aïe ! Passez de l’autre côté, avec votre caddie, au lieu de me bousculer, bon sang ! Vous ne voyez pas que je suis sur antenne ?… Oui, c’est ça, faites coucou à la caméra et taillez-vous.

Évelyne ?…

Albert, attention !… Allons de ce côté…

Évelyne ?…

Attention au caméraman, madame… Non, ça, c’est mon micro… Oui, écartez-vous, s’il vous plaît. Ouaaaah ! Bordel ! Mes orteils ! Pouvez pas faire attention, espèce de… oups !

Évelyne Marchand ?… Évelyne, m’entendez-vous ?

Oui, oui, Georges… Excusez-moi… je…

Holà ! Évelyne, tout va bien ?

— …

On n’a plus l’image, là…

— …

Et plus de son non plus, apparemment. Évelyne ?… Évelyne Marchand ?…

— …

Bon. J’espère qu’il ne leur est rien arrivé de fâcheux, à Évelyne et à son caméraman. Nous tenterons de rétablir le contact avec eux tout à l’heure… Prenons à présent la direction de la capitale, avec Claude Volant, pour un point d’info routière. Claude Volant, c’est à vous.

Bonjour, Georges, et bonjour à tous. Eh bien ici, la situation est déjà préoccupante sur les principaux boulevards conduisant au centre-ville. La température est actuellement de 21 degrés et les automobilistes ont chaud dans les bouchons qui s’étendent sur plusieurs kilomètres. Aucun problème majeur n’est actuellement à déplorer, mais pour ceux qui ne disposent pas de la climatisation à bord de leur véhicule, la journée risque d’être difficile.

Merci, Claude. Nous nous retrouverons plus tard pour un autre point d’information.



9 h 55

De nouveaux problèmes dans les transports en commun, puisque par solidarité avec le TEC Liège, les chauffeurs des autres TEC ont également débrayé, ce qui fait qu'aucun bus ne circule dans le sud du pays. Du côté des chemins de fer, les retards s'accumulent : en cause, une surchauffe de locomotives sur la ligne Anvers-Bruxelles et sur la ligne Bruxelles-Arlon. Nous enregistrons pour l'instant une température de 22 degrés à Uccle.



10 h 40

Nous avons retrouvé Évelyne Marchand quelque part sur le parking de Cora City. Le caméraman ayant disparu, happé par la foule, nous ne sommes pas en mesure de vous offrir d'images, mais Évelyne a encore son micro. Évelyne, vous m'entendez ?

...

Évelyne Marchand ?

...

On a dû lui piquer son oreillette, à mon avis. Évelyne Marchand ?

Non, pas par ici, madame.

Évelyne, vous êtes à l'antenne. Évelyne, vous m'entendez ?

Comment ? Boire un verre ? Oh, oui, monsieur, quelle bonne idée ! Je vous suis et tant pis pour cette télé de merde. De toute façon, y a plus d'images, y a plus de son.

Évelyne ? Évelyne, IL Y A du son ! Bon, faut couper, là... Coupez !

Skkkrrrrkrkproum ! Blouîîîîîîîououîîîîîîîîîîîîîk !

Et elle a balancé son micro, en plus ! Coupez, bon sang !



11 h 38

Nous interrompons nos émissions pour un nouveau flash d'information. Sur la E411, la situation est préoccupante. Il y a des bouchons, apparemment. Rejoignons notre reporter au dispatching de la police, Éric Lafoire. Éric Lafoire, c'est à vous.

Oui, Georges. Ici, c'est le chaos. Le revêtement s'est soulevé sur plusieurs dizaines de mètres après le viaduc de Beez, et la circulation est à l'arrêt.

N'est-ce pas là le tronçon qui avait été refait récemment, Éric ?

Absolument, Georges. Si vous vous en souvenez, l'asphalte avait sauté après les lourdes gelées de l'hiver – jusqu'à sept degrés sous zéro, je vous le rappelle – et les pénuries de sel d'épandage. Le tronçon a été réparé, mais le cahier des charges ne prévoyait apparemment pas la résistance à une température de 24 degrés, comme nous en connaissons en ce moment. J'ajoute que dans l'autre sens, vers Bruxelles, la circulation est à l'arrêt en raison d'une collision entre deux voitures et un camion. L'accident serait dû à la curiosité des automobilistes, distraits par le soulèvement du revêtement sur la chaussée parallèle vers le Luxembourg.

Merci, Éric... Claude Volant nous appelle à présent, pour un point de la situation à Bruxelles.

Allo, Georges ?

Oui, Claude. C'est à vous.

Ici, c'est le chaos. La température est de 26 degrés et les gens se réfugient dans les stations de métro et jusque dans les tunnels. Les gestionnaires du réseau de la STIB ont jugé plus prudent d'arrêter la circulation des rames afin d'éviter des accidents qui pourraient être dramatiques. Plus personne ne met d'ardeur au travail, si l'on excepte les patrons de bistrot.



12 h 21

Chers téléspectateurs, les nouvelles qui nous parviennent sont alarmantes. Un train aurait déraillé entre Gand et Bruxelles. Luc Boulon est sur place.

Ici Luc Boulon, qui vous parle depuis la ligne Bruxelles-Gand, où un train est à l'arrêt en plein soleil. La chaleur a provoqué une dilatation anormale des rails qui, trop déformés, ne permettent plus le passage des trains. Le thermomètre affiche 29 degrés, c'est épouvantable. Les voyageurs attendent du secours, les pompiers devant arriver pour les ravitailler en eau.

Merci, Luc Boulon.

Allo ? Je suis à l'antenne ? Skrîîîîîîouîîîîî... Hips !... Allôôôôôô ?...

Qui parle, là ? C'est vous, Évelyne ?

Allo, Geôôôrges ? Allôôôô ? Hips !... Vous... m'entendêêêêz ?

On a retrouvé Évelyne Marchand, mais je pense qu'elle n'est pas en état de parler.

Geôôôrges !

Coupez-la, bon sang ! Merde ! On entend bien qu'elle a bu, mais personne ne voit que j'ai soif, moi !



13 h 30

Nous interrompons une nouvelle fois nos émissions pour un flash d'information. Retrouvons Claude Volant...

Oui, un autre drame s'est joué sur un boulevard de la capitale, où Olivier Maingain est resté coincé dans sa voiture, climatisation en panne, alors qu'il se rendait à une réunion. Des gens ont fini par briser une vitre pour parvenir à ouvrir les portes et une demoiselle, une néerlandophone de Linkebeek, s'est proposée pour le bouche-à-bouche, mais un membre du Voorpost qui se trouvait lui aussi sur place s'est interposé en disant « geen vlaams lucht voor een franstalig ». La police est intervenue et monsieur Maingain a été emmené sur une civière. Comme nous étions sans nouvelles, nous avons contacté Charles Michel, président du MR, dans l'espoir d'en apprendre davantage, mais dès que nous avons parlé d'Olivier Maingain, monsieur Michel nous a assuré qu'il n'y avait plus de problème Maingain. Nous n'en savons pas plus pour l'instant, mais ici, c'est effroyable, le thermomètre flirte
avec les 30 degrés.

Merci, Claude, vous nous rappelez dès que vous avez des informations.



14 h 45

Chers téléspectateurs, je prends le micro en l'absence de Georges Fadasse, qui a déclaré en quittant le studio – je cite : « Trop soif ! Je vais boire une chope, du moins s'il en reste. » En attendant son retour, nous faisons un point météo. À vous, Paul Faydouf.

Skrîîîîouîîîîîîî... ♪♫ Ein prôôôôsit ♫♫ ein prôôôôsit ♫ ♫ ♪♪ Broum ! Skrîîîîîîououououou...

Évelyne Marchand ? C'est vous ? On dirait qu'elle est tombée...

Allo ? Le studio ?

Qui est à l'antenne ?

Hé, attends, mademoiselle, j'mets l'écouteur... Oué, ici c'est moi, hein ! C'est pour vous dire que vot' madame elle est complètement torchée, hein !

Qui êtes-vous ?

J'passe à la télé ? Ousqu'elle est la caméra, bordel ? J'aimerais bien faire signe à bobonne, moi !

Il n'y a pas de caméra, monsieur. Il n'y en a plus. Coupez, bon sang !

Ah ! C'est la radio, alors ? Qué dommage ! Ici, c'est Oscar Berlu. Et j'dis salut à tous les copains.

Coupez, merde !

Allo, Georges ?

C'est coupé ?

Allo, Georges Fadasse ?

Ah ! Nous avons retrouvé Paul. Allo, Paul Faydouf ? Ici Séverine Rawette. Nous attendons votre bulletin météo, Paul. Quelle est la situation ?

Bonjour, Séverine. Il semble que nous allons atteindre les 34 et même 35 degrés aux heures les plus chaudes de l'après-midi. Mais le temps va rapidement devenir lourd et orageux. Les premiers éclairs et coups de tonnerre sont attendus en fin d'après-midi et en début de soirée. Les pluies seront abondantes. Les pompiers, la protection civile et les forces de l'ordre ont été averties, et un plan d'urgence sera mis en place, m'a-t-on assuré.

Merci, Paul. En quoi consisterait ce plan d'urgence ?

On parle de fermer tous les tunnels routiers de la capitale, qui risqueraient d'être inondés.



15 h 70

Allo ? Allo le studio ?

...

Allo ?... Le studio ?

Skrîîîîouîîîî... Évelyne Marchand, j'écouououte...

Évelyne, ça va ? Ici Luc Boulon. J'appelle pour dire que seulement une partie des voyageurs coincés dans le train a pu être ravitaillée en eau par des pompiers débordés de travail.

De l'eau ? Hips !... Z'est pas bon, de l'eau...

Oui, Évelyne, mais quand on a soif...

Skrîîîîouîîîîîî...

Évelyne ?... Évelyne Marchand ?

Beuuuuh... Eh ben s'ils ont soif... hips ! Z'ont qu'à attendre, hein ! Paraît... hips !... qu'il va pas tarder à... à dracher !... Hips !


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