mardi 20 septembre 2011

Le retour des actualités à la con

Dans une précédente bafouille, je vous avais livré un petit lot d'actualités à la con. Je m'étais dit que, vu la morosité ambiante doublée de la léthargie typique des vacances d'été, inventer quelques conneries pour égayer un peu l'atmosphère ne pouvait qu'être salutaire.

J'aurais bien imaginé une seconde fournée d'actualités à la con, mais nos éminences se sont mouillées pour moi. Plus besoin d'inventer : les actus à la con viennent de nous être servies sur un plateau. Et même plusieurs, parce que tout le monde s'y est mis, ces derniers jours. Et pas qu'en Belgique.

Quand j'évoque « plusieurs plateaux », ce n'est pas innocent : dans certains cas, il s'agit des plateaux de télévision. Moi, je ne regarde pas TF1. Je ne regarde jamais TF1, que nous recevons pourtant par le câble, en Belgique. Pour moi, les programmes de TF1 sont à l'intelligence ce que le hamburger est à la gastronomie. Il n'empêche que beaucoup de gens aiment bien les hamburgers.

Il paraît que les confidences de DSK ont fait péter l'audimat. Apparemment, si j'en crois les échos ( de brefs extraits de sa confession et quelques réactions sur les chaînes belges), c'est la seule chose qui aurait pété. Je passerai outre la question de la sincérité des propos, abondamment commentée ailleurs qu'ici, et de l'octroi ou non de l'absolution du peuple, pour m'attarder un tout petit peu sur l'intervention d'un déçu, qui se plaignait de n'avoir rien appris sur ce qui s'était réellement passé dans cette chambre d'hôtel.

Qu'espérait-il ? Que DSK déclare que « oui, je l'avoue, je l'ai attachée aux quatre pieds du lit pour lui faire subir les pires outrages » ? D'emblée, au juge, il avait dit « Not guilty ». N'allez pas prétendre que ça ne suffit pas !

Alors, les déçus, qu'espériez-vous ? Une description des mouvements pratiqués ? « Oui, je lui ai fait la position du millionnaire… » ?

Si l'émission La semaine infernale existait encore, sur la radio belge francophone, l'élection du « couillon de la semaine » (j'en ai déjà parlé ici et ) serait ardue. Pas DSK, non. Lui, ce serait plutôt le « couillu de l'année » ; mais parmi les millions de téléspectateurs, les « déçus » pourraient entrer en ligne de compte.

Faut pas regarder TF1. Nous, en Belgique, on reçoit les chaînes françaises, les anglaises, les hollandaises, les allemandes, espagnoles, luxembourgeoises, turques, italiennes… et même les flamandes. On ne regarde pas tout, mais on a parfois droit à une sorte de « best of » sur les nôtres.

L'autre jour, par exemple, on nous montre un extrait des déclarations de Pinpin face à un parterre de journalistes. Souriant, triomphant même, le gaillard désormais blanchi affûtait déjà ses incisives : ça allait saigner ! Mais c'était compter sans les inépuisables ressources du petit Nicolas, passé maître semble-t-il dans l'art d'accrocher de nouvelles casseroles en remplacement des anciennes !

Et en parlant de casseroles, difficile d'oublier notre brave Berlu, premier ministre à ses heures perdues. Mamma mia ! Comme coglione, il se pose un peu là ! J'ai déjà dû en parler dans cet article où j'explique pourquoi on est jaloux, parfois, chez nous.

Et Barack ? Les sénateurs républicains sont encore pliés en deux de rire à l'entendre dire qu'il va augmenter les impôts des plus riches ! Mazette !

Rassurez-vous : chez nous, en Belgique, on a aussi quelques phénomènes. Je ne vais plus parler de Stefaan De Clerck, qui a évité de s'illustrer cette semaine, à titre exceptionnel sans doute. J'éviterai de m'étendre sur les déclarations d'Olivier Maingain, sur les démissions successives d'Yves Leterme et sur les dividendes d'Albert Frère, c'est tellement commun !

Ce week-end, on a eu quelques couillons en action, lors d'un match de football. Je sais, j'avais écrit en note de bas de page d'un tout récent article que je ne désirais pas parler de football belge, que c'était déjà assez pénible avec la politique, etc. Mais je vais faire une exception, parce que cette fois-ci les couillons n'étaient ni sur le terrain, ni à l'Union belge. Ils étaient quelque part dans les tribunes du match RC Genk / Standard de Liège. Je sais : des couillons, dans les tribunes, il y en a toujours. En groupe, ils sont très forts : on conspue, on harangue, on invective. Des fois, on dérive. On chante que l'adversaire et ses supporters, c'est de la matière fécale.

C'est un sujet sensible, ça : le respect de l'adversaire. Surtout quand d'un côté il y a des Flamands et de l'autre des Wallons. Je veux dire : un club flamand et un club wallon, parce que les joueurs… Parfois, ils ne parlent aucune de ces deux langues. C'est l'internationalisation du sport.

Rapportée aux territoires respectifs de nos grands voisins, une rencontre Liège / Genk, c'est presque un derby. Mais dans l'esprit belge, c'est deux mondes. Ainsi, Genk, c'est dans le Limburg, provincie van Vlaanderen ; tandis que Liège, c'est dans la province du même nom, en Wallonie. Donc c'est franstalig tegen nederlandstalig. Francophones contre néerlandophones.

Du côté des joueurs, ça ne pose généralement pas de problèmes : on s'arrange avec le ballon et quelques tirages de maillots. Dans les gradins, par contre, on en vient facilement aux noms d'oiseaux. Ce n'est pas sympa. Pire : c'est interdit. Pas depuis très longtemps, certes, mais c'est interdit.

Quand j'étais gamin, dans les tribunes, certains y allaient sans se priver, avec les chants discourtois et les interventions grossières. Papa disait : « n'écoute pas ça ». Parfois, quand un joueur était visé par des quolibets et qu'il faisait un « bras d'honneur », ça passait encore. Avec la médiatisation et toutes ces images qui passent à la télé, c'est fini : sur le terrain, on ne lève plus le majeur, on n'enlève plus sa vareuse. Et on n'insulte plus qu'à voix basse, avec prudence.

Dans les gradins, on doit aussi mesurer gestes et paroles, éviter les pancartes et calicots injurieux. Sinon : amende pour le club, match à huis clos ou score de forfait. On ne rigole plus avec les insultes, les chants racistes ou xénophobes, les cris de singes quand un Noir a le ballon, les jets d'objets divers sur le terrain.

« C'était taquin », diront les défenseurs de la grossièreté élevée au rang d'art, ceux qu'on est obligés de parquer derrière des grillages pour qu'ils restent à leur place. Taquin ? Oui…

Il n'empêche que j'ai parfois assisté à des rencontres de jeunes, sur des petits terrains en mauvais état, sans tribunes, sans gradins, avec de pauvres petits vestiaires et une buvette. Pour encourager les gamins, on trouve au bord du terrain les parents, les oncles et tantes, les grands frères et leurs potes, sans grillages, sans service d'ordre. Et les insultes pleuvent, les injures à l'homme au sifflet, les invectives grossières. Parfois, l'arbitre interrompt la rencontre, appelle le délégué au terrain pour qu'il prie les malappris de la mettre en veilleuse, ce qui est généralement loin de les calmer. Inutile de dire qu'aussi bien encadrés, les p'tits gars qui tapent dans le ballon apprennent rapidement à s'exprimer dans le respect de l'adversaire et de l'homme en gris.

Vous voulez encore des actus à la con ? Des vraies, comme toutes celles relatées ci-dessus ?
Monseigneur Léonard, par exemple. Le primat (ça me fait rire, je pense souvent à un autre mot) de Belgique, le chef de file de l'Église catholique belge, ému par les dérives dites « des prêtres pédophiles », propose une mesure radicale : faire passer des tests psychologiques aux candidats à la prêtrise, lorsqu'ils s'inscrivent au séminaire. De cette manière, on sera sûrs que ceux qui passeront les tests avec succès auront bien compris que leur sacerdoce exige, entre autres choses, de se la mettre sous le bras et de garder ses mains chez soi ; et seront moralement assez solides et équilibrés pour ne pas l'oublier au fil des années. Surtout en présence de mineurs.
Après ça, les évêques s'étonneront qu'ils manquent de curés ! Qu'on les laisse se marier, Bon Dieu ! À eux l'amour, les scènes de ménage, le cocufiage, le divorce et la vie de famille !
Alors ? Couillon de la semaine, Monseigneur ?

J'hésite. Quelqu'un d'autre a fait très fort.

Cécile Jodogne, bourgmestre faisant fonction à Schaerbeek, suite à l'expulsion de Roms qui s'étaient installés à la Gare du Nord, a déclaré sans rire qu'on ne pouvait les laisser là, dans des conditions d'hygiène déplorables, sans même l'eau courante.
C'est vrai qu'à la rue, compte tenu de la météo, l'eau courante ne sera plus un problème.

Vraiment, cette semaine, je n'ai pas eu besoin d'inventer des actus à la con.

vendredi 16 septembre 2011

Les courses de la semaine

Tétèou ?
Ben… ici. J'ai pas bougé.
J'te cherche partout.
J'suis resté ici. Avec le Caddie®.

Parce que quand on fait les courses ensemble au supermarché, Chérie et moi, c'est généralement moi qui pousse le chariot. Et Chérie qui le remplit. Dans ces conditions, le contraste peut devenir surprenant entre une abeille butinant à gauche et à droite d'un rayon à l'autre et venant déposer rapidement à la ruche les trésors récoltés ; et un gros bourdon commis à la garde de ladite ruche et s'efforçant de l'emmener à la bonne place, à savoir celle où la butineuse serait déçue de ne pas la trouver à l'instant opportun.

Parce que ça n'a l'air de rien, comme ça, mais manœuvrer un lourd chariot entre des rayons surchargés et dans des allées encombrées, ça exige une bonne condition physique, de la patience et du doigté. Trois qualités qui me resteront à jamais inaccessibles.

Et tout d'abord, pourquoi est-il si lourd, ce foutu panier à roulettes ? Eh bien c'est simple : parce qu'il y a des trucs lourds dedans. Par exemple, les deux packs de six bouteilles de deux litres d'eau minérale (Chérie n'aime pas l'eau de distribution), les canettes de Coca Zéro® (Chérie surveille sa consommation de calories) et quelques menues bouteilles de pinard (je ne bois pas d'eau en bouteilles, et même pas d'eau du tout, sauf un peu d'eau de distribution avec de l'aspirine en cas de nécessité).

Et pourquoi est-il si difficile à manœuvrer, cet engin ? Eh bien parce que non seulement les lois de la physique (inertie, force centrifuge…) sont aussi difficiles à contourner que les ménagères et leur chariot planté en dépit du bon sens entre les rayons, mais aussi parce que j'ai souvent l'art de prendre le Caddie® qui ne roule pas bien, celui qui marche en crabe parce qu'une de ses roulettes coince tous les deux tours et demi.

Dans de telles conditions, j'opère à la manière de bon nombre de mes semblables commis aux manœuvres : je réduis les mouvements à mesure que la bête se laisse gaver. Alors que quelques minutes auparavant, je slalomais gaiment entre les premiers étalages et les palettes de produits en promo nous ayant accueillis dès l'entrée franchie, je reste à présent bien tranquillement planté dans l'allée centrale où stationnent, outre quelques collègues d'infortune, une série de chariots sans conducteur.

C'est alors que, deux ou trois allées plus loin et s'élevant sur la pointe des pieds pour mieux me repérer, surgit Chérie qui rapplique d'un pas vif, les bras chargés de victuailles, tandis que, dans une tentative de démarrage, mes semelles dérapent vaillamment sur les traces mal essuyées d'un défunt pot de mayonnaise.

Tétéou ? me lance-t-elle courroucée.
Ben… ici. J'ai pas bougé.
J'te cherche partout.
J'suis resté ici. Avec le Caddie®.
Tu pourrais me suivre, quand même ! Je sais plus où mettre tout ça.
T'en as de bonnes, toi !

Inutile de discuter. Ma tactique de l'enclume ne convainc pas.

Parfois, dans un souci de bien faire, j'essaie d'anticiper. Chérie, virevoltant d'un pas allègre entre vingt-deux caddies stationnés comme des autos tamponneuses au moment où leurs occupants se préparent à enfoncer le jeton, vient de disparaître entre les rayonnages. En ressortira-t-elle un peu plus loin, au-delà des cageots de salades ? Reviendra-t-elle tout simplement sur ses pas ? Me souvenant que ma tactique enclumesque n'est pas payante, je tente le coup d'audace : avancer de huit mètres. Et puis j'attends. Nouvelle enclume, certes, mais néanmoins aux aguets tel le suricate aux abords du terrier familial. J'épie, je suppute, je tourne la tête dans toutes les directions au risque de me dévisser le cou façon Linda Blair dans « l'Exorciste ». Mais étant plutôt sœur Anne ne voyant rien venir, je finis par avancer d'encore quelques mètres, puis j'abandonne le chariot et pars en mission de secours. Après tout, les victuailles ne risquent rien tant qu'elles n'ont pas été payées.

Je retrouve Chérie qui a effectué un savant crochet par le rayon des tee-shirts démarqués.

Regarde, me dit-elle avant que j'aie le temps de dire un mot. Il est beau celui-là, hein ?
Heu…
Et pas cher.
Heu…
Et j'ai pris ça aussi.
Heu…

Et elle recommence à fouiner sans plus m'accorder un regard. Je m'accorde une petite escapade trois mètres plus loin dans les chaussettes de sport (je mets de chaussettes de sport, même sans faire de sport), fouille un peu pour trouver ma pointure, hésite entre le 41-43 que je risque d'étirer un peu trop et le 44-46 dans lequel je serais peut-être trop à l'aise, puis dépose le tout et fais volte-face. Chérie ayant disparu du rayon tee-shirt en promo et brillant par son absence près des jeans et des pantalons de sport, j'amorce un prudent repli vers le chariot que je récupère dans l'allée centrale au moment où une grosse dame y dépose un chou-fleur.

Heu…
Pardon ! Je croyais que c'était mon chariot. Bon. Ilèou, lui ?

Pendant que la dame cherche son Caddie®, son homme ou les deux, je finis par repérer Chérie qui renifle les melons.

Kèstufzè ? attaque-t-elle aussitôt.
Heu…

Inutile de discuter. Pas plus que la tactique de l'enclume, celle de l'exploration ne convainc.

Au moment de passer aux caisses — j'évite de choisir la file moi-même, car je prends toujours celle qui n'avance pas. Quand c'est Chérie qui choisit, c'est aussi celle qui n'avance pas, mais au moins ce n'est pas de ma faute mais celle de cette empotée de caissière.
En réalité, les files sont faites pour qu'on ait le temps d'ajouter en dernière minute les chocolats, le chewing-gum ou les piles qu'on aurait oublié d'acheter (on ne sait plus pourquoi, mais il faut des piles).

Soudain, Chérie est prise d'un remords. On a oublié quelque chose d'important. De si important qu'elle s'esquive en vitesse en disant « j'arrive » mais sans préciser ce qu'on a oublié qu'elle est partie chercher.
Entretemps, la file avance et je dépose les marchandises. Le tapis roule, j'entends les « bips » du lecteur de codes-barres. Où reste Chérie ?

Ah ! fais-je en la voyant arriver au moment où la réglette « client suivant » arrive devant la caissière (cette empotée).
Oh ! Hé ! répond Chérie en se faufilant entre la file de chariots et la caisse voisine pour venir déposer le truc super important devant la caissière (cette empotée qui répond par un regard noir).


Parfois, Chérie me donne la liste et je vais, seul, au supermarché. Afin de réduire les risques d'erreurs, manquements et confusions, je lis soigneusement, avant de l'empocher, ce qu'elle a noté sur le papier. Invariablement, je m'assois à table pour ce faire. C'est plus confortable pour ajouter quelques annotations. Chérie a l'habitude de désigner certains produits par leur marque. Les produits d'entretien, par exemple. Sur la liste, quand elle a écrit « Machin », elle savait que c'était du « Machin » liquide à la javel, spécial WC, en bidon d'un litre ; et pas de la poudre à récurer en boîte de cinq cents grammes, pas du savon liquide à la lavande pour la salle de bain, pas du déboucheur à la soude caustique pour canalisations récalcitrantes. Préciser avant de partir m'évite la honte de m'immobiliser, perplexe, devant ce foutu rayon des détergents, et de lui téléphoner (comprenez : la déranger) pour lui demander ce que je devrais pourtant savoir. J'ouvre d'ailleurs une parenthèse pour signaler que, parfois, c'est elle qui me téléphone (ce qui ne doit absolument pas m'importuner) pour que j'achète l'une ou l'autre denrée supplémentaire. Parfois même quand je suis déjà sorti du magasin (voir pourquoi ci-après). J'ajoute qu'il m'arrive parfois, avant de partir, de recopier la liste sur un autre feuillet afin de mettre les denrées dans l'ordre des rayons du magasin.

Généralement, quand je rentre (et ça n'a rien de sexuel), Chérie me dit, surprise et admirative : « taétévite ». Suivent ensuite, à mesure que je range les marchandises, les « tapapris » et « tapapenséa ». Auxquels je réponds invariablement : « cétèpasurlaliste ».

Parce qu'il y a une différence fondamentale entre la manière qu'ont les hommes et les femmes de lire et comprendre la « liste des courses ». Pour Monsieur, c'est ce qu'il faut acheter. Donc, Monsieur suit les rayons et place dans le chariot les marchandises indiquées sur le papier. Il s'autorisera parfois l'un ou l'autre extra, quitte à s'entendre dire ensuite « ifalèpa », mais sans perdre de temps dans le magasin. D'où la réaction de sa femme, au retour : « tèdéjalà ? »
Madame, par contre, se sert dans les rayons et vérifie ensuite, avant de passer à la caisse, qu'elle n'a rien oublié de ce qui se trouvait sur la liste. C'est alors qu'elle se rend compte qu'elle a oublié la liste en question sur la table de la cuisine.

Chérie, elle fait comme ça. Une liste. Et puis elle oublie la liste. Et en rentrant, elle constate que non seulement elle n'a rien oublié qui était sur la liste, mais qu'en plus elle a songé à rapporter des choses indispensables qui ne s'y trouvaient même pas.

Respect.

jeudi 8 septembre 2011

On joue la montre !

Jouer la montre.
En football, c'est courant. Quand le score est favorable (ou acceptable) à quelques minutes de la fin du match, on temporise. On gagne du temps en perdant du temps. On joue l'horloge. Bien sûr, dans les tribunes, ça siffle, mais à quelques minutes de la fin du match, c'est de bonne guerre. Parfois, l'arbitre brandit le bristol jaune à la face de celui qui exagère dans l'antijeu.

Il arrive que certaines équipes commencent à jouer la montre à vingt minutes de la fin. Là, ce n'est pas bien. Dans les gradins on siffle, on hue, on rouspète, on fulmine. C'est tout juste si ne fusent pas des appels pour le remboursement des billets.

J'ai déjà vu, même si c'est rare, deux équipes jouer la montre dès le coup d'envoi. Quand, dans un tournoi comme, par exemple, la coupe du monde, un nul blanc arrangerait bien les affaires des parties en présence : tout le monde est qualifié, tout le monde est content, on ne se fatigue ni ne se blesse dans la perspective de poursuivre la compétition avec les meilleurs atouts. On se livre à un simulacre de match de football.

En Belgique, on en est là. Pas en football*, mais en politique. On joue la montre depuis la vingtième minute de la première mi-temps, et la seconde vient à peine de s'entamer. Toute une mi-temps encore à s'emmerder ferme en attendant qu'il se passe quelque chose.

Comment la Belgique en est-elle arrivée là ? Comment expliquer ces longs mois d'immobilisme politique ?
Afin d'essayer de mieux le faire comprendre, je vais oser une comparaison avec l'Union européenne.

Chaque pays membre, lors des élections européennes, choisit ses représentants. Ceux-là deviendront parlementaires européens en charge de défendre les intérêts de leur propre pays au sein de l'Union. La politique européenne commune, les décisions qui seront prises, seront affaire de compromis entre les souhaits des uns et des autres. Si les représentants d'un pays posaient des exigences totalement inacceptables par leurs partenaires et refusaient d'en démordre sous prétexte que c'est le programme qu'ils ont présenté à leur électorat et se sont engagés à réaliser, c'est toute la stabilité et la viabilité de l'Union qui seraient mises en danger ; parce que le refus du compromis sonne inévitablement le glas de toute négociation.

En Belgique, c'est un peu ce qui se passe. Chaque Région (flamande, wallonne, bruxelloise) élit ses propres représentants qu'elle envoie au parlement fédéral : en charge pour eux de trouver des accords pour former un gouvernement.
Certains ont fait des promesses délirantes et abordent les négociations avec des exigences et des tabous dont ils ne veulent pas démordre sous prétexte que c'est le programme qu'ils ont présenté à leurs électeurs. Que ces exigences soient inacceptables par ceux qui se mettent avec eux autour d'une table pour négocier, ils s'en moquent. Ils refusent jusqu'à l'idée d'un compromis. C'est donc la stabilité et la viabilité de l'État belge qu'ils mettent en danger.

Pour arriver à un compromis, il faut faire des concessions. Toutes les parties prenant part à la discussion doivent faire des concessions, et lesdites concessions doivent être d'égale valeur pour que le compromis soit équilibré. Le principe même d'un compromis, c'est d'être équilibré.

Certains abordent les négociations en posant des exigences, et considèrent qu'ils font déjà des concessions s'ils renoncent à une partie de ces exigences. C'est de la malhonnêteté. Renoncer à une exigence n'est pas une concession. Il est trop facile de redescendre, magnanime, une barre qu'on a sciemment placée beaucoup trop haut.
Faire des concessions, c'est accéder à des demandes de son interlocuteur. C'est accepter de discuter de choses dont il demande qu'on discute.

Quand Pierre dit « Je veux que tu me donnes mille balles » et que Paul lui répond « Hors de question. Je n'ai même pas mille balles » ; ce n'est pas en revoyant ses exigences à la baisse que Pierre fera une concession. S'il dit « Alors, donne-moi cinq cents balles » et que Paul accepte, c'est Paul qui fait une concession. Même si les deux prétendront qu'ils ont perdu cinq cents balles dans la négociation.


Sans vraies concessions, pas de compromis. Et un véritable compromis, c'est quand les parties en présence font des concessions d'égale valeur.

En Belgique, nos politiciens ne veulent plus faire de concessions. Ils ne veulent donc plus de compromis. Alors, pour justifier quand même leurs émoluments et éviter de rappeler aux urnes les citoyens, ils font comme si…

Ils font comme s'ils mettaient tout en œuvre pour négocier, pour arriver à une solution, un compromis équilibré. Un compromis comme celui-là, ça doit exister, quelque part à mi-chemin des exigences et des tabous des uns et des autres, mais personne n'en veut. Tout compromis serait perçu comme une lâcheté annonciatrice d'une cuisante défaite aux prochaines élections.

Alors, on continue de faire comme si. On essaie de montrer sa bonne volonté, tout en essayant de faire comprendre que si ça bloque, c'est à cause des autres. Il faut sauver la face, se montrer ferme et surtout, surtout, éviter les concessions. Et espérer que les autres, de guerre lasse, se décident à en faire. Mais ils n'en feront pas. Tout le monde attend l'automne 2012, obstinément, hypocritement, parce qu'il ne faut pas, surtout pas renvoyer les citoyens aux urnes avant les élections communales de 2012. Alors on gagne du temps. Il faut tenir. Un an, encore. Oui, un an de plus sans gouvernement de plein exercice, dans l'attente des élections communales de 2012 qu'on pourra combiner avec des législatives pour prendre, une fois de plus, l'électeur pour un con. Un an, c'est long. Tiendront-ils la distance ?

En gagnant du temps, ils font de la Belgique la honte de l'Europe. Un pays où la démocratie est foulée aux pieds. Où des bourgmestres démocratiquement élus en 2006 ne sont toujours pas nommés. Où un premier ministre et son gouvernement démissionnaires sont toujours en place alors qu'ils ne représentent plus la majorité de l'électorat. Où les vainqueurs du dernier scrutin législatif sont sur le banc de touche. Où on refuse de ratifier la convention-cadre européenne sur la protection des minorités. Où on ne respecte pas davantage les majorités. Où des extrémistes tiennent à l'égard de certains de leurs compatriotes des propos qui seraient punissables par la loi s'ils étaient dirigés vers des Étrangers ou des gens d'une autre race.

En « jouant la montre », nos politiciens profitent de l'inertie des masses, de la relative passivité d'un peuple très « bon enfant » qui aime les bonnes choses de la vie, la paix et la tranquillité. Un peuple raisonnable, travailleur, honnête, épris de simplicité.

Oui, la Belgique est un pays peuplé de gens simples et raisonnables, mais dirigé par des gens hypocrites et compliqués.


* Ne parlons pas du football belge, c'est déjà assez pénible comme ça avec la politique.

mardi 6 septembre 2011

Outami

Ce titre un peu bizarre n'a rien à voir avec une quelconque exclamation japonaise, mais c'est la transcription à peu près fidèle d'une partie de ce que j'ai entendu crier tout récemment du haut des escaliers.

— M'man ! Outami mon pull mauve ?

Bon, ça ne s'adressait pas à moi, mais je l'ai quand même entendu, ce « outami ».
Remarquez que Mademoiselle aurait pu demander à sa mère :

— M'man ! Ouilè mon pull mauve ?

Ou sa variante :

— M'man ! Ilèou mon pull mauve ?

Mais non ! Tout de suite la forme agressive : outami. (La variante « tamiou » est plus rare.)
Parce qu'en même temps qu'une question, c'est une accusation : Mademoiselle ignore où se trouve son pull mauve et, spontanément, décrète que sa disparition est due à la malveillance d'autrui plutôt qu'à sa propre négligence. Outami. Voilà. C'est ta faute, Maman.

Évidemment, ce n'est pas son père qu'elle apostropherait en ces termes. Elle ne s'y risquerait pas. Pas sous peine de torgnole, non ! Juste parce qu'elle sait que moi, son pull mauve, je n'y touche pas. Jamais. Ou alors gentiment et brièvement, quand elle est dedans, au moment où elle me fait la bise pour me dire bonjour.
Elle ne me dirait pas « outami » ni même « ouilè », parce que non seulement je n'aurais aucune raison d'avoir déplacé son pull mauve, mais je ne suis même pas censé savoir où il pourrait bien se cacher. Dans le cas le plus désespéré, Mademoiselle pourrait s'enquérir prudemment :

— Dis, P'pa, tapavu mon pull mauve ?

Tapavu. Outami. Ilèou.
Chez moi, on parle bien. Jamais, au grand jamais, Mademoiselle ne dirait :

— M'man ! Ousketami mon pull mauve ?

Ousketami ! Et pourquoi pas « ouskilè » ? C'est trop vilain, tout ça. Restons simples et faisons un effort d'élégance.
Ne disons pas « tufékwa ». Contentons-nous du traditionnel « kèsketufé » ; qui, contrairement à « kèstufou », est parfaitement correct.

C'est la rentrée scolaire, surveillons notre langage. Ne disons pas, comme un commentateur que j'ai entendu à la radio la semaine dernière :

— Nous en avons cinq zexemplaires à vous offrir.

Ou, comme son confrère du bulletin d'informations :

— Quelle va têtre la réaction du premier ministre ?

Et celui de l'info routière :

— On nous signale un accident grave sur l'autoroute Anverse-Liège.

Qui a ensuite précisé :

— La circulation est interrompue dans les deux sens en direction de Liège.