Bien que je ne sois pas coutumier de la chose, je vais vous entretenir d'un livre. Un livre que j'ai lu – preuve que ça m'arrive de temps à autre de lire vraiment quelque chose – et qui m'a bien fait rire. Son titre, pourtant, ne laissait pas supposer que j'allais en arriver à me tenir les côtes ou me taper sur les cuisses, ce que je n'ai d'ailleurs pas fait parce que ça m'aurait obligé à le lâcher et que je n'en éprouvais nulle envie, mais des larmes de plaisir n'ont pas manqué d'humidifier les coins de mes yeux.
Le monsieur très bien qui a écrit ça s'appelle Michel Sapanet et, comme le titre de son recueil l'indique, exerce le joyeux métier de médecin légiste. La quatrième de couverture donne un avant-goût des réjouissances qui attendent le lecteur lorsqu'il découvrira les passionnants agissements du héros :
« Sa vie, c'est la mort. Égorgés, poignardés, étranglés, pendus, noyés, tués par balle, tous finissent par parler. »
Gasp ! Et moi qui croyais, comme la plupart des mafiosi, que seuls les morts ne parlent pas, me voilà pour mes frais ! Et ce n'est pas tout :
« Exploration des boîtes crâniennes, inspection des chairs mortes, ouverture des cœurs, voici le quotidien extraordinaire d'un homme ordinaire. »
Un homme ordinaire, je veux bien, mais est-on un homme ordinaire lorsqu'on se livre à l'activité particulièrement ludique de « faire parler les morts » ?
Rangez vos gousses d'ail, votre eau bénite et vos crucifix ! Abandonnez vos pince-nez, vos gants de latex et votre flacon de désodorisant ! Et surtout, abstenez-vous de penser que je suis un maniaque pervers aimant se repaître de lectures sanguinolentes et purulentes juste bonnes à remplir des sacs à vomi. Non, le crime ne me fait pas rire, l'horreur ne me fascine ni ne me réjouit, mais j'ai trouvé ce bouquin plutôt hilarant.
Le début surprend, déroute et, à la limite, dégoûte même un peu ; mais Michel Sapanet a vite fait de prendre le lecteur par la main, de le rassurer et de lui expliquer que tout cela est normal, logique, implacable et... tellement vrai !
De longues années de pratique ont conféré au médecin une forme de détachement qu'on ne peut qualifier de coupable, parce qu'il naît tout simplement des aspects routiniers d'un métier qui, l'expérience aidant, transforment l'étonnement des débuts en une sorte de cynisme de tous les instants. Ce n'est là ni cruauté, ni moquerie. Juste une manière de glisser un peu d'humour dans la viande froide pour tromper la tristesse du spectacle et donner une bonne petite claque aux mauvaises odeurs.
Dans ses « Chroniques d'un médecin légiste », Michel Sapanet pratique donc l'humour à froid ; ce type d'humour auquel on se risque parfois – non sans quelque honte – à la fin d'une journée de funérailles, après un drame de la route, une grande catastrophe... parce qu'on a besoin de respirer la vie et de rire entre les dents en songeant que ce n'était pas encore notre tour, mais que celui-là viendra malheureusement un jour et qu'en attendant...
Tout ce recueil comprenant une bonne trentaine d'histoires distinctes réparties en autant de chapitres n'est pas farci d'humour à chaque ligne, mais il m'a semblé, en le lisant, qu'il devenait de plus en plus amusant au fil des pages, comme si l'auteur avait débuté sur un mode mineur en s'autorisant petit à petit à lâcher la bride au cynisme.
Il est possible aussi que, d'abord intrigué puis surpris, je me sois accoutumé à l'ambiance de ces chroniques pour finir par les trouver drôles, alors qu'elles ne le sont peut-être pas beaucoup plus à la fin qu'au début.
Je ne puis toutefois m'empêcher de penser que Michel Sapanet a entretenu une certaine gradation dans l'agencement de ses récits et que, surtout, il a pris soin de garder pour la fin son histoire la plus étrange, la plus hallucinante, la plus déjantée... qu'il a traitée en deux chapitres badigeonnés d'un humour décapant.
Jugez-en plutôt :
« Un légiste, ça a le choix du style. Les difficultés du métier le permettent. Les circonstances aussi. Aujourd'hui, je me sens l'âme d'un Bérurier. Ça tombe bien : à peine la porte du château ouverte, l'odeur prend aux tripes. Un mélange dans la tradition des équarrisseurs. Il n'y a pas d'autre comparaison possible. Même les mouches noires, parmi les plus grosses que j'aie jamais vues, percutent les vitres à la recherche de la sortie. Sur le sol de la vaste entrée, un croc de boucher qui n'a rien à faire là. Et tout de suite, cette vision du corps. Le premier de la série. Je suppose une femme, vu le spectacle offert. Au bas de l'escalier d'apparat, la tête contre la première marche. Les globes oculaires exorbités au sens littéral du terme. Verts tous les deux. Pas les yeux, les globes. À moitié cachés par de longues mèches de cheveux. Une blonde manifestement. Le cou plié à quatre-vingt-dix degrés vers la droite. Rupture des cervicales, c'est évident. À poil, son beau cul offert aux regards. Toute dilatée. Pas par une défonce sexuelle. Non. Par la putréfaction.
Vite un cigare. La seule façon d'accepter l'odeur. En revanche, va falloir prévoir la douche...
Pendant que je m'approche, je sens des choses craquer sous mes pieds. Merde, j'ai oublié les protections. Je ne suis pas le seul d'ailleurs, le proc est dans le même cas et le regrette déjà. Des asticots, que je n'ai pas vus dans la lumière descendante de cette journée d'été.
Quoi ? Ça ne vous fait pas rire ? Même pas sourire ?
Je sais. Asséné comme ça, froidement, le spectacle des mouches et des asticots n'a rien d'hilarant.
Mais derrière ces descriptions teintées de cynisme apparaît le discours instructif d'un professionnel. Parce qu'on en apprend, des choses, sous la plume du docteur Sapanet !
(...)
Je reviens à ma blonde. Auprès de ma blonde... Tout un programme. Elle est noire. Tout de suite, un dilemme. Faut-il dire « c'est une Noire blonde » ou « c'est une blonde noire » ? C'est rare, les Noires blondes. Sauf quand elles sont décolorées. Une blonde noire, c'est plus classique, c'est une blonde putréfiée... ou alors elle est bourrée. Mais là, ce n'est pas sexuel, c'est alcoolique. En fait, ma blonde, ce n'est pas une vraie noire. Ni au sens ethnique du terme, ni au sens colorimétrique. Elle est plutôt vert foncé. Très foncé. En plus, ce n'est pas non plus une vraie blonde : les rares poils qui persistent sur sa vulve envahie d'asticots sont noirs.
D'ailleurs les asticots, eux, sont blancs. D'autant plus blancs que sa peau est noire. Gros et timides : ils essaient désespérément de rejoindre l'obscurité que troue ma torche spéciale (de la vraie torche, type torche de plongée, pas une loupiote ridicule). En allant au plus près : chaud, noir et humide. Ils ont le choix : l'anus ou le vagin. Grand moment de poésie. J'espère que cette image-choc ne viendra pas brouiller mon prochain câlin...
Ce n'est pas très ragoûtant, mais d'un autre côté, je me dis que les gens qui lisent les histoires de crimes, les thrillers et autres romans noirs, sont habitués aux scènes de ce genre ; et qu'on les décrive dans leur réalité toute crue en y ajoutant une pinte d'humour ne doit sans doute pas leur déplaire. De la même façon, ceux qui écrivent les enquêtes de flics autour des agissements de tueurs psychopathes pourraient tout aussi bien en prendre de la graine et, à la lumière du présent ouvrage, réussir à rendre leur fiction aussi incroyable que la réalité.
(...)
Le substitut du procureur :
— Alors, docteur ?
Encore dans mes pensées, la réponse m'échappe, comme si j'avais annoncé une vérité incontournable :
— Pas de doute, monsieur le procureur, c'est une partouze. C'est sexuel.
— Comment avez-vous deviné ? Vous n'avez pas vu les autres corps !
— Euh, je parlais des asticots... Double pénétration, multitude de partenaires, ça s'agite dans tous les sens, pas de doute, c'est une partouze. »
J'arrête là, mais si cette lecture ne vous a pas encore donné la nausée, sachez que la suite est encore plus drôle !
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