lundi 5 mars 2012

Les foires, les salons et le monde cruel de l'édition

Après avoir répertorié dans cet article les principaux types d'édition, leurs avantages et inconvénients, ainsi que les pièges à éviter ; permettez-moi de vous parler des lieux de grande réjouissance que sont les foires et salons.

À Paris, on dit « Salon du livre », mais chez nous, en Belgique, c'est la « Foire du livre ». Cette petite nuance de vocabulaire peut donner à penser qu'il s'agit de manifestations à l'ambiance radicalement différente l'une de l'autre. « Salon », ça confère au discours une connotation classieuse, posée, annonciatrice d'un événement se distinguant par son calme feutré et son confort rassurant. À l'inverse, le mot « foire » évoque les débordements bruyants d'une foule bigarrée en un lieu où l'amateur de bonnes choses est généralement bien inspiré d'éviter de s'attarder quand il tient à son intégrité physique et à sa santé nerveuse.

L'aspect foireux s'impose instantanément à l'esprit lorsqu'on tente de se frayer un chemin vers l'entrée du parking des visiteurs, à Tour & Taxis (un nom qui fleure la littérature), ce qui n'est déjà pas une mince affaire quand il convient de circuler au pas (si ça avance !) sur une avenue pavée recouverte de voitures dont les conducteurs s'entêtent à vouloir passer avant vous, au mépris de toute courtoisie. Ajoutez-y qu'après avoir dévoré la moitié de son volant, il faut encore manœuvrer son véhicule au gré des multiples nids de poules criblant la plus grande partie des zones de stationnement (à 5 euros l'emplacement, c'est cher de l'omelette), vous aurez déjà un aperçu de la valeur symbolique du mot « foire ».

Dans un cadre qu'on peut situer à mi-chemin, question aspect, entre le hall de gare et l'entrepôt pour matériaux de construction, les exposants font de leur mieux en matière de décoration afin que le visiteur s'inquiète le moins possible de l'état des murs et plafonds. La charpente semble solide, toutefois. Le ciel ne risque pas de leur tomber sur la tête.

On m'avait dit : « Tu vas là ? Les foires et salons, tu sais... » C'est vrai que nombre d'auteurs n'aiment pas ça. De l'inconnu rêvant de gloire et de fortune, mais qui s'enquiquine à longueur d'après-midi dans l'attente de la bonne âme qui va s'intéresser à sa production, jusqu'à la vedette harcelée par son éditeur pour offrir une séance de signatures qui lui procurera pour une heure ou deux l'assurance de respirer l'air vicié par le souffle oppressé de centaines d'admirateurs menaçant de lui renverser sa table, chacun peut trouver d'excellentes raisons de fuir l'événement.

Convaincu de n'appartenir à aucune des deux précitées catégories, de n'avoir rien à perdre et sans doute rien à gagner, j'ai estimé opportun de vivre cette « Foire du livre » depuis un lieu paisible, à l'écart de toute bousculade, les fesses bien calées sur une chaise, les coudes sur une table, mes livres autour de moi et un stylo-bille à portée de main (on ne sait jamais) ; d'écouter et d'observer.

Et je n'ai pas été déçu !

Lorsque, visiteur, vous parcourez les allées, vous avez vos propres méthodes, votre manière d'opérer qui peut être soigneusement calculée ou purement instinctive, mais vous détaillez généralement assez peu les personnes circulant autour de vous, à moins bien sûr de chercher quelqu'un dans la foule. Mais la plupart du temps, les autres vous gênent : ils marchent devant vous, vous bousculent, vous masquent la vue, vous bouffent l'oxygène...

Assis tranquillement, j'étais loin de ces préoccupations. J'observais. Une expérience amusante.

À mon grand étonnement, des gens semblaient s'intéresser à moi. À mes livres, veux-je dire. C'est bien sûr le genre de chose qu'un auteur espère voir se produire dans ce type d'endroit, mais la manière dont ça se passe ne manque pas d'intérêt.

Quelqu'un passe, ses yeux balaient le stand, accrochent une seconde quelque chose. Le pas se ralentit, la tête se tourne... Il semble à cet instant qu'un corps se décompose : les jambes ont adopté un rythme que le tronc est bien obligé de suivre, mais la tête songe soudain à autre chose qu'à ce déplacement presque machinal. Les pieds hésitent, s'arrêtent, pivotent...

C'est ce moment intense où deux regards se croisent, où un sourire et une parole de bienvenue assurent l'accroche. Tous les commerçants connaissent cet instant. Je ne suis pas commerçant, mais juste un scribouillard. Ce sont néanmoins des notions qui s'acquièrent très vite.

On songe rarement à cet aspect des choses lorsqu'on déambule entre les rayons d'une grande librairie ou dans les allées d'une foire aux livres, et pourtant, à moins de chercher une personne ou une image bien précise, nous nous laissons guider par notre regard, par notre intuition.

Dans ce rayon, sur cette table attendent des dizaines et des dizaines de bouquins ; et c'est une couverture qui attire notre attention. Un nom, parfois, si l'auteur est très connu, auquel cas l'éditeur a pris soin de l'imprimer en grand sur la jaquette. Souvent, on ne connaît pas l'auteur. Ou un peu, vaguement, de nom... Mais cette image, ce dessin, cette photo... ces couleurs, cette blancheur ou cette noirceur quelque part nous interpellent. Une main se tend, des doigts se serrent, le livre pivote et la « quatrième de couverture » s'approche d'une paire d'yeux avides.

Le bouquin peut alors retourner sur la table. Parfois, on y revient. On le soulève pour prendre l'autre, celui qui est en dessous, celui qui semble « vierge », celui qu'on n'a pas encore tenu en mains.

À la foire du livre, les visiteurs agissent de la sorte. Partout. Et même devant moi. Oui, certains s'intéressent à ma production, posent les doigts sur mes bouquins, les retournent... Je les renseigne, je leur explique s'ils le désirent. Ce sont des gens qui aiment les livres et, quelque part, je propose quelque chose qui les attire, les intrigue, les amuse... Je ne les connais pas, ils ne me connaissent pas, mon nom ne leur dit rien, mais nous échangeons quelques paroles autour de mes bouquins.

Eux, ce sont les lecteurs. Certains d'entre eux sont venus en famille. Avec leurs enfants. Et parmi ces enfants, il en est quelques-uns qui regardent les livres avec envie, les yeux brillants. « Oui, tu peux toucher ». Sourire. Une petite main se tend, tourne quelques pages. Non, il n'y a pas de dessins à l'intérieur, mais l'enfant le savait déjà avant d'y toucher. Il voit les lettres imprimées. Celui-là, plus tard, il lira des livres « comme les grands ». Son regard, fait de dépit et de défi mêlés, en est la promesse ; et une des images fortes de cette journée.


Mais il y a d'autres visiteurs, à la « foire du livre ». Des auteurs. Ils sont lecteurs aussi, bien sûr, mais ils ne sont pas venus pour ça. Ils sont venus pour eux. Ils iront éventuellement bavarder avec un copain auteur, mais ce qui les amène, c'est leurs propres problèmes : leurs espoirs, leurs doutes, leurs désillusions, leurs emmerdements...

Ce type, là, hagard, qui s'approche l'œil fiévreux, qui scrute, bafouille quelques questions qui n'ont rien à voir avec vous ni avec ce que vous faites, c'est un auteur. Un auteur en panne d'éditeur. Un qui cherche une solution à son problème. Et son problème, c'est qu'il a écrit un roman, un truc génial qu'on lui a déjà refusé à gauche et à droite, mais auquel il croit dur comme fer. Il a raison, tout compte fait. Si lui-même ne croit pas à ce qu'il fait...

Mais à ce mec, on ne la lui fait pas. Il s'est informé. Pas question de publier à compte d'auteur, comme certaines maisons ont osé le lui proposer avec enthousiasme. Ce type-là, il veut du « compte d'éditeur ». Il cherche la boîte qui va publier, vendre son livre et lui assurer, à lui, auteur de talent, la gloire et la fortune qu'il mérite autant sinon plus qu'un autre.

Avec ce gaillard, inutile de discuter. Pour lui, vous êtes un pigeon. Il vous envie et vous méprise tout à la fois. Dans le regard hautain qu'il vous adresse, vous devinez cette question : « Mais comment a-t-il fait ? » Et cette autre : « Pourquoi lui et pas moi ? Il a sans doute trouvé un éditeur à la con. Ou alors il a payé... »

Le gars s'en va. Speedé. Angoissé. J'espère qu'il ne va pas aller se jeter dans le canal tout proche si, à l'issue du dernier jour de la foire, il n'a pas décroché le contrat du siècle.

Tiens, une autre visiteuse. Un auteur. Elle a son badge, là, bien en évidence, attestant qu'elle est éditée. Quelque part, sur un stand, elle a signé ses livres pour ses lecteurs. Ou elle s'apprête à le faire. Pourquoi vient-elle près de moi ? Pourquoi s'intéresser à Ludovic Mir qui n'est ni riche, ni célèbre, ni rien du tout ?

Elle prend un de mes bouquins, pose quelques questions. Elle ne l'avoue pas, mais je comprends qu'elle est dans la merde. Elle est éditée, certes, mais ses espoirs sont déçus. Beaucoup d'auteurs le sont parce que les résultats ne sont pas à la hauteur de leurs attentes. Empêtrée sans doute dans un contrat avec un éditeur qui lui laisse la charge du travail de promotion, elle cherche à s'en sortir. Elle essaie de savoir si ça ne serait pas mieux ailleurs. Je décèle de l'aigreur dans ses propos, une forme de condescendance à l'égard de mes livres, mais aussi une lueur d'envie quand elle les regarde. Je devine ce qui lui ferait plaisir, ce qui la soulagerait peut-être pour un moment : que je lui parle d'elle. Que je m'intéresse à ses livres, qui sont sans doute quelque part loin de moi, sur un stand, et que je pourrais aller voir. Mais je n'en ai pas envie. Elle n'est pas sympa. Ses désillusions l'ont rendue agressive.

Des auteurs viennent encore. Ils sont nombreux. Ils ne sont pas édités, mais ils aimeraient bien. Pensent-ils que le mec qui est de l'autre côté de la table pourrait leur donner un coup de pouce ? Mais que puis-je pour eux ? Comment pourrais-je les « pistonner », moi qui ne suis rien qu'un scribouillard parmi des centaines de scribouillards ?

Beaucoup sont sympas. Ils sont curieux. Certains sont encore un peu comme l'autre type, là, avec ses yeux hagards et son stress permanent, mais la plupart sont simplement intéressés. Ils sont avides de savoir comment on fait pour avoir un bouquin avec son nom dessus sans y dépenser une fortune. À eux, je leur explique. Je les mets en garde contre les pièges de l'édition. Je leur dis comment, avec un contrat, on peut parfois être dans le caca.

Et puis je leur raconte que, non, on ne devient pas riche et célèbre en écrivant des livres. Certains le deviennent, mais ils sont rares. Les autres, ils rament ou ils adoptent l'attitude détendue qui procure le moins de frustrations. Ils ont un métier qui leur permet de vivre et ils écrivent par passion, pendant leurs heures de loisir. Et tout en s'autorisant à espérer qu'un jour la mayonnaise prenne, ils restent réalistes, veillent à ne pas signer n'importe quel bout de papier au bénéfice de l'un ou l'autre des nombreux arnaqueurs qui vivent de la naïveté de ceux qui s'illusionnent sur une réussite facile. De temps à autre, ils s'installent derrière une table, vendent quelques livres et papotent avec leurs lecteurs.

La gloire et la fortune ? Certes, non. Mais quelques heures de plaisir au service de leur passion, c'est déjà un cadeau du Ciel.

7 commentaires:

  1. Les premières fois que j'ai fait des salons, j'ai trouvé ça marrant.
    Et pis j'ai vite trouvé ça très chiant (sauf si rémunération...).

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  2. J'imagine... Mais sans doute que ça dépend non seulement du nombre de salons qu'on fait mais aussi de l'esprit dans lequel on les fait. Si c'est ton éditeur qui pousse à la charrette pour que tu y ailles, c'est sûr que ça peut devenir pesant.
    Comme je suis mon propre éditeur, c'est un choix qui dépend essentiellement de moi. Mais j'ai trouvé ça marrant, intéressant et parfois même surprenant.
    Comme le gus qui s'est pointé devant moi pour me demander si j'écrivais sur commande. Clairement, le mec se cherchait un nègre ; et comme il n'avait pas la dégaine d'une vedette pleine aux as prête à payer un max pour avoir un bouquin avec son nom dessus, je me suis dit que c'était juste un gros fainéant qui essayait d'assouvir un fantasme, ou alors un écrivaillon coincé par un mauvais contrat. J'aurais dû lui demander combien il était prêt à payer pour ça, mais je l'ai juste envoyé gentiment péter.

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  3. je ne suis pas édité malgré quelques essais; à la limite, je ne sais plus très bien si j'ai encore envie de l'être... à la réflexion, bien sûr que si; mais mon inconscient est un putain de feignasse et rechigne, le bougre...
    je vais de temps en temps, mais rarement quand même, dans des salons ou foires, peu importe. Je m'adresse rarement aux écrivains, sauf si c'est eux qui engagent la conversation, sans doute parce qu'ils s'emmerdent comme des rats morts (ou maures, c'est selon que c'est halal ou pas); mais c'est quand même plutôt rare.
    et puis les salons ou foires, c'est vraiment du commercial et rien que ça. Certes, il faut bien qu'auteurs et éditeurs aient de quoi gagner leur croute, mais bon, ya la manière...

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  4. c'est sûr qu'on nous "force" un peu, enfin moi quand mon éditeur demandait je disais oui, j'étais con, j'étais trop gentil...

    alors oui je confirme, on s'emmerde comme des rats maures morts.

    je vous ferai un article là-dessus un jour !
    là j'en prépare un sur la critique négative (quel effet ça fait ? etc)

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  5. Enfin "préparer" c'est un grand mot.
    qu'est-ce que j'écris mal sur le blog (des fois je me relis, je prends peur). en général j'écris mes articles au taf.

    non j'essaie pas de me justifier.

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  6. Moi qui ai participé à de nombreuses reprises à le salon du livre érotique, je peux vous le dire, c'est plus rigolo : les femmes en transe se ruent sur les auteurs à longueur de journée ; c'en est épuisant...

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  7. Ben, je sais ce qu'il me reste à faire, alors.

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