Être automobiliste en Belgique requiert une forte dose de patience, voire de stoïcisme. Bien sûr, nous devons savoir ce que nous voulons : des voitures, donc des routes. Et que les secondes soient en bon état pour que les premières puissent le rester.
Nous vivons depuis environ un mois (et sans doute pour un mois encore) une période de grands et de petits travaux d'infrastructure routière. D'un chantier à l'autre, de rétrécissement en étranglement, de déviation en itinéraire de délestage, nous sommes donc invités à prendre notre mal en patience dans les ralentissements et les bouchons.
Matière à râler ? Certes. Mais on râle aussi quand les autorités négligent de réparer les dégâts (lisez : les nids-de-poule, les fissures et les ornières) alors qu'on paie tant de taxes. Donc, c'est bien qu'on remette les routes en état. Et on en supporte les inconvénients.
Mais il y a des limites.
Le réseau routier belge est dense, très dense. Nos autoroutes ne disposent pas de postes de péage : leur usage est « gratuit ». Louper la bonne sortie est souvent bénin, car la suivante n'est jamais très loin. En conséquence, on emprunte ces voies « rapides » presque machinalement.
La force de l'habitude compte parmi les plus puissantes au monde. Moi, j'ai mes itinéraires habituels. Les autres automobilistes aussi. Alors, en période de travaux…
Bref. Je monte sur l'autoroute, comme tous les jours ouvrables aux heures de pointe pour rentrer chez moi après le boulot, et là… bouchon ! Saperlipopette ! Ils l'ont pourtant annoncé ce matin et répété dans les « flashs » de radioguidage : « Ouverture d'un chantier sur l'autoroute Z007, circulation réduite à une seule bande entre BrolDeBrol et TrucBazar, en direction de GnuGnu ».
Tant pis. Mon trajet habituel y fait dix-huit kilomètres. La prochaine sortie est à un peu plus de deux bornes, donc ce n'est pas dramatique. Je sortirai là-bas. Comme beaucoup d'autres, bien sûr. Donc ça n'ira pas très vite, mais ce sera mieux que de se traîner le long de ce chantier !
Hélas ! La sortie suivante est fermée, justement à cause des travaux. Je ne me souviens pas qu'ils l'aient annoncé, mais cinq cents mètres avant ladite sortie, un grand panneau indique : « Sortie MachinChose fermée, accès par la sortie TrucBazar à 3 km ». Ben tiens !
Trois bornes supplémentaires, donc, avant de pouvoir échapper à ce calvaire. Un quart d'heure plus tard, j'atteins l'annonce de la sortie TrucBazar, mais le chantier s'arrête là. Plus la peine de quitter l'autoroute, où tout le monde écrase à présent le champignon pour rattraper le temps perdu (on ne rattrape jamais le temps perdu. Tout ce qu'on gagne, c'est un procès pour excès de vitesse).
Le lendemain, j'accomplis l'effort suprême de vaincre la force de l'habitude et j'évite l'autoroute. En voyant les voitures grimper la rampe d'accès, je ris sous cape : « Bande de pigeons ! Ils n'écoutent donc pas le radioguidage ? »
J'emprunte une nationale que je connais bien et la quitte un peu plus loin pour une voie secondaire traversant quelques villages. Une route qui m'est familière… jusqu'à un certain point ! Ce point-là, c'est l'endroit où la route est barrée en raison de travaux (ça, ils ne l'avaient pas dit !) et où un panneau orange marqué « déviation » m'expédie sur une voie encore plus secondaire.
Là, je connais mal. Un carrefour, un autre panneau orange « déviation ». Je suis la flèche. Un peu plus loin, une fourche et plus d'indications. Hhuuuuh ? Là, c'est terrain méconnu. À tout hasard, je prends à droite. Nids-de-poule, ornières, fissures… Est-ce bien le bon chemin ? Nouvelle fourche, cette fois je vais vers la gauche. La route serpente à travers champs. Soudain, un croisement avec la flèche orange : « déviation ». Hourra !
Quelques minutes et deux flèches plus avant, j'arrive devant une fourche avec la curieuse sensation d'y être déjà passé. Ben oui. C'est là que j'ai dû me gourer précédemment. À gauche, alors ? Allons-y.
Finalement, je perds vingt minutes et quelques neurones dans cet itinéraire de délestage, ma tire est éclaboussée de boue et de bouse de vache en raison des chemins de campagne parcourus. Promis : demain, j'essaie autre chose.
Le lendemain matin, je croise un tas de camions. « Ils viennent d'où, ceux-là ? »
Je comprends vite : la route provinciale, près de chez moi, est fermée. Je verrai plus tard qu'on y arrache la couche d'asphalte (pourtant en bon état) en vue de son remplacement. Ils ont trop de pognon, sans doute, à la Province ? En ronchonnant, j'emprunte la déviation par les chemins communaux en mauvais état (fissures, ornières, nids-de-poule…) et qui auraient tant besoin d'une bonne réfection (mais la Commune racle déjà les fonds de tiroir, donc inutile d'espérer autre chose que deux ou trois pelletées de tarmac « à froid » de temps à autre, quand les trous sont vraiment très gros).
Un peu plus loin, tout le monde cale : un riverain a obtenu l'autorisation de déposer un conteneur de douze mètres cubes à la fois sur son trottoir et sur une partie de la voie publique, pour y déverser les gravats produits par l'entrepreneur chargé du ravalement de la façade de l'immeuble familial. Les deux semi-remorques de quarante tonnes qui contribueront, pendant toute une semaine et en compagnie de leurs semblables à peine moins lourds, à terminer de défoncer le pauvre chemin communal, doivent se frayer un passage entre la benne à gravats, la camionnette de l'entrepreneur et les voitures en stationnement sur le trottoir d'en face ; exercice de précision à réaliser sans écraser la pauvre mère de famille qui n'a d'autre choix que d'emprunter la chaussée en tenant d'une main son gamin de quatre ans et en poussant de l'autre le « buggy » du petit dernier.
Le soir, au retour et faute de mieux, j'emprunte l'itinéraire de secours en gardant bien en mémoire le trajet accompli la veille, ce qui se passe sans trop de problèmes.
Arrivé à proximité de mon domicile, je constate amèrement que tout le monde est à l'arrêt. Que se passe-t-il ? Encore ces camions ? Encore la benne à gravats ? Le passage à niveau bloqué ? Une vache sur la chaussée ?
De loin, j'aperçois des gyrophares : des jaunes et des bleus. Les jaunes fichés sur un camion monstrueux surmonté d'une machine agricole qui ne l'est pas moins ; les bleus de la camionnette de police. Un transporteur batave, confronté à l'obstruction de la route provinciale, a fait confiance à son GPS à la cartographie tellement bien mise à jour qu'elle n'a pas tenu compte des derniers aménagements de la voirie communale : un minuscule sens giratoire qu'un chauffeur de bahut « standard » ne franchit qu'au prix d'un savant numéro de maîtrise du cerceau. Autant dire que les petits coups de marche avant et de marche arrière pour sortir de là l'encombrant attelage ont valu au vaillant routier l'admiration et la compassion des dizaines de badauds agglutinés dans le carrefour et alimenté de longues conversations au bistrot du coin.
Qu'est-ce qui m'attend demain sur notre réseau routier ? Une autre manifestation de surréalisme à la belge ?
si je peux me permettre un conseil, Ludovic, tu devrais tenir une chronique dans un journal, un peu à la façon de F. Mauriac. Je ne te compare pas à ce grand écrivain, mais ta façon de raconter le quotidien a quelque chose de Mauriac, même si lui commentait les afffaires du monde. Celles de notre quotidien n'en sont pas moins intéressantes...
RépondreSupprimerMerci,Paniss. Trop gentil !
RépondreSupprimerLe problème avec ce genre d'entreprise, même si elle demande un investissement en temps et en travail relativement limité, c'est qu'elle soumet à une forme de pression, parce qu'il faut rentrer un billet chaque jour, ou chaque semaine, ou chaque mois... Une échéance, c'est une échéance.
Mon atout, avec mon blog, c'est d'être mon propre maître, sans autre moteur que mon envie d'écrire ce qu'il me plaît d'écrire au moment où je veux l'écrire ; et choisir de le publier ou non.
J'avoue toutefois que, même dans ces conditions, le procrastination n'est pas trop conseillée. Un blog, ça doit vivre.
Sans vouloir offenser Paniss, je préfère de loin Ludovic Mir à F. Mauriac (je le trouve chiant) !
RépondreSupprimerStoni, venant de toi, ce n'est pas une offense, loin s'en faut; mais comme je crois que, mis à part cette tendance sado-maso-léniniste qui te nuit grave, je crois disais-je que comme tu es quelqu'un de pragmatique et pas trop versé dans le dogme, tu devrais peut-être relire Mauriac, ou si tu préfères ses fameux "bloc-notes": on en apprend beaucoup et sur l'époque et sur les hommes; quant au style, souple et limpide, je crois que nous sommes quelques uns à l'envier... ("d'un bloc-notes à l'autre", éditions bartillat, 885 pages, 25€ en 2004)
RépondreSupprimerLudovic, être tenu chaque semaine ou mois ou jour à écrire quelque chose peut avoir quelque chose de rébarbatif; pour autant, cela oblige à une rigueur qui, parfois (c'est mon cas, trop souvent, hélas) fait défaut. Certes le blog laisse une entière liberté de temps et de mouvement, mais je maintiens que cela peut être quelque peu casse gueule: un coup de blues, une crise de flémingite aigüe, des motifs bidons et j'en oublie, et hop, on remet à demain ce qu'on aurait pu faire aujourd'hui... Mais comme dirait un sage de mes connaissances livresques: "pourquoi faire aujourd'hui ce que l'on peut faire demain?": n'est-il pas?
sado-maso-léniniste lol ça me plait bien ça.
RépondreSupprimerPaniss je te jure tes textes aussi sur ton blog je les trouve mieux que F. Mauriac. F. Mauriac c'est un mec qui voit tout en noir, et gnagnagna, et qui parle de la petite-bourgeoisie ben moi ça me fait chier !
c'est vrai le bloc note j'ai pas lu, mais alors pas du tout, mais vu ses romans franchement ça me donne pas trop envie...
j'aime bien lire des gens qui aiment rigoler de temps en temps quoi !