vendredi 27 janvier 2012

Télécharger, copier, échanger

Dis-moi ce que tu voles, à qui tu le voles et par quel moyen ; je te dirai quel voleur tu es.


— C'est facile : tu télécharges...

Ben oui, c'est facile. J'ai déjà avoué à plusieurs reprises que j'étais démodé. Je le suis encore et je le resterai probablement jusqu'à la fin de mes jours.

— Oh ! Tu l'as déjà ? Tu m'en fais une copie ?

Ben oui, c'est facile. On met le support vierge et on recopie.

— Envoie-le sur mon mail !

Ben oui, c'est facile. On joint le fichier et on envoie le message.

On clique partout et on télécharge. Parfois, on se ramasse une merde, un « cheval de Troie ».

C'est les salauds de majors qui nous pourrissent la vie avec ça, cette bande d'escrocs qui se remplissent les poches, alors qu'on ne fait rien que partager l'info, échanger.

C'est ça, le monde moderne : la convivialité, l'échange, le partage. On finit par ne plus savoir d'où ni de qui vient un fichier, comment on l'a reçu et où il s'en est allé ensuite.

Le monde évolue.

Aujourd'hui, les plus jeunes téléchargent des chansons, des images, des jeux, des logiciels...
Ils ne se posent pas de questions. C'est gratuit, tout simplement.
Et puis, même s'ils savent parfois que, non, ce n'est pas gratuit ; ils ne s'en soucieront pas, parce que ces choses qu'ils obtiennent sans les payer, ce n'est pas pour se les approprier.

Ben non, m'sieur. On fait rien de mal. Tout le monde fait ça, vous savez. Mes copains, mes copines, mon grand frère, mon cousin et même mon prof. Tout le monde, je vous dis. Même mon père m'a demandé où et comment je trouvais tout ça, parce que ça l'intéresse, lui aussi.

Non, les plus jeunes ne se posent pas de questions. En téléchargeant, en copiant, en transmettant, en échangeant... ils ne volent rien. Ils ne s'approprient rien. Leur console de jeux, leur smartphone, leur tablette... ça, oui, c'est à eux. Ils ne les ont pas payés, mais c'est à eux. Ils les ont reçus en cadeau.

Mais la chanson qu'ils ont téléchargée gratuitement hier et transmise à quelques potes, celle qu'ils écoutent aujourd'hui, celle qu'ils effaceront demain et qu'ils remplaceront par une autre, ils n'ont pas le sentiment de l'avoir volée. C'est juste un service. Un truc fugitif. Un peu comme quand d'autres, il y a longtemps déjà, poussaient sur la touche « record » de l'enregistreur à cassettes quand leurs morceaux préférés passaient à la radio (coupés au début par le bla-bla du présentateur et raccourcis à la fin par le jingle annonçant la page de pub – c'était fait exprès).

Nous sommes dans un monde du « je prends – j'utilise – je jette ». On ne répare pas, ça coûte trop cher. On ne conserve pas quand on s'en est lassé, ça prend de la place inutilement.

Adolescents, ils consommeront sans arrière-pensée. D'un côté ils rêveront du grand amour, comme leurs aînés l'ont fait avant eux, mais ils ne le trouveront pas, ou si rarement, et s'ils le trouvent ils ne le garderont pas. Les gens, ils sont comme les objets de consommation : ils passent.

Une idée, ça n'existe que pour être consommé. Ce n'est pas comme un smartphone ou un scooter : ce n'est pas matériel, ça n'appartient à personne, donc ça ne se vole pas. La propriété intellectuelle n'existe pas.

Ça, c'est pour les innocents.

Mais il y a les pervers. Les sans-gêne. Ceux qui savent, mais qui s'en tapent.


Toi, le musicien, le passionné, l'artiste désintéressé... Mets ta jolie chanson gracieusement en ligne, et lis les messages de ceux qui l'ont aimée et t'encouragent à en composer d'autres.

Toi, l'auteur, le passionné, le scribouillard désintéressé... Mets ta jolie histoire gracieusement en ligne, et lis les messages de ceux qui l'ont aimée et t'encouragent à en écrire d'autres.

La vie est belle. C'est sympa, ces gens qui aiment ce que tu fais.

Et puis, un jour, tes chansons, tes histoires, tu les retrouves ailleurs. On les a recopiées sans te demander ton accord. Et tu peux être heureux si, par chance, ton nom y est resté associé. Ce n'est pas toujours le cas. Pas souvent, même. Et jamais si tu n'es pas déjà célèbre.

Un jour, même, tu trouveras un type qui donne (et même revend) tes chansons ou tes histoires à d'autres, un peu comme si c'était à lui. Ceux qui les recevront le féliciteront peut-être pour son talent. Ils croiront que c'est à lui, qu'il en a le droit.

Tes œuvres t'échappent, elles ne t'appartiennent plus.

Et un jour, peut-être, au nom de la liberté d'expression, de la convivialité, de la fraternité des internautes et de la malléabilité de la bouse de vache quand elle est chaude, des milliers de petits voleurs qui s'ignorent prendront la défense des grands voleurs qui t'ont escroqué et qui viennent de se faire coffrer.

Mieux : ils te menaceront. Ils essaieront de te pourrir ta vie.

Aujourd'hui, le chœur des internautes prend la défense des voleurs. Pas celle des artistes.

mercredi 25 janvier 2012

Le chemin du succès

Dis-moi ce que tu voles, à qui tu le voles et par quel moyen ; je te dirai quel voleur tu es.

Supposons, ami lecteur, que tu sois un musicien, un auteur-compositeur imaginatif, talentueux et travailleur ; et que tu chantes tous les jours, assis devant ton piano (ou debout si tu joues du piano debout) ou la guitare à la main (chanter en soufflant dans une trompette ou en jouant du violon, c'est compliqué), les magnifiques chansons que tu composes toi-même.

C'est sûr : le disque de l'année et le tube de l'été, c'est toi qui vas les faire.

Pour enregistrer tes chansons, tu auras besoin d'un studio. Le matériel n'est pas bon marché, donc tu ne disposes peut-être pas d'un studio personnel. Ou peut-être un ministudio avec ton PC et quelques accessoires, mais sache que ça ne suffit pas. Pour une démo, ça peut convenir, mais toi tu veux faire un disque à succès. Il te faut du matos de pro. Dans ce cas, tu peux louer un studio à la journée ou même à la demi-journée. Comme ce n'est pas gratuit, essaie que tes chansons soient parfaitement au point au moment où tu entameras ta ou tes journées d'enregistrement. Moins tu perdras de temps avec des prises foireuses, moins tu devras piocher dans tes économies.

Cela accompli, tu devras faire graver tes CD. Plus tu en commanderas, moins ils te coûteront à l'unité, donc commandes-en un bon paquet. Bien sûr, ça va te coûter bonbon, mais quand tu les auras revendus, à toi les bénéfices !

Bien entendu, des disques, on ne les vend pas sans emballage. Tu devras donc concevoir une pochette (es-tu capable de jongler avec les logiciels de retouche d'images ?), acquérir des boîtiers et accomplir quelques menues démarches administratives (assez chiantes, toutefois) pour « déposer » ton œuvre.

Comme tu vas la vendre, n'oublie pas qu'il s'agit d'une activité à caractère commercial et, par la même occasion, une activité professionnelle (à titre complémentaire, dans un premier temps), donc tu devras également sacrifier à d'autres démarches consistant à t'enregistrer comme auto-entrepreneur, acquitter les lois sociales et tenir une comptabilité.

Ensuite, tu courras les routes, tu battras le rappel de tes potes, tu frapperas aux portes, tu iras trouver les radios locales, régionales, nationales... Tu chercheras bien entendu plusieurs disquaires disposés à revendre quelques-uns de tes albums (moyennant bakchich, c'est normal).

Tu gèreras ton stock de marchandises, et puis tu n'oublieras pas l'essentiel de ton art : chanter et jouer d'un instrument. C'est ça, ce que tu veux, ce que tu aimes. Donc tu essaieras de te produire dans des fêtes locales, dans des petits clubs... puis dans des plus gros.

Pour y parvenir, tu devras bosser pas mal, courir beaucoup, dormir très peu et angoisser à mort. Sans compter que tu auras peut-être des fins de mois difficiles, que ton employeur (à qui tu ne peux pas encore dire merde parce que tu as besoin de ton boulot, en attendant la gloire et la fortune) te fera chier avec ses remarques sur tes arrivées tardives et ton manque de motivation et ses menaces de licenciement.

Oui, comme tu le vois, pour décrocher ton succès, tu devras te taper un fameux boulot de démarchage et de paperasserie qui te pompera l'essentiel de ton temps et de ton énergie, te bouffera toutes tes économies et même plus (les nouilles au sucre, ce n'est pas si mauvais, après tout), et te laissera sur les genoux au moment où tu devras faire ce que tu aimes sans même en avoir encore la force : composer, jouer, chanter.

Faut-il passer obligatoirement par là ?

Bien sûr que non ! Tu peux faire ce que tu aimes (composer, chanter), t'arranger pour enregistrer une petite démo, puis te mettre, comme bien d'autres, à la recherche d'un producteur. Si tu en séduis un, si l'un d'eux veut bien croire en ton talent, en ton travail, en ton avenir, il t'aidera. C'est lui qui paiera le studio, le matériel, les disques. Lui qui fera les démarches administratives, qui assurera la promotion de tes chansons auprès des médias, la distribution chez les revendeurs...

Toi, tu feras ce que tu aimes : composer, jouer, chanter. Ton producteur, il ne sait pas faire ça. Lui, son truc, c'est le bizness : promouvoir et distribuer. Et le disquaire, son truc, c'est de vendre des disques. Pas d'en faire.

Au bout du compte, sur chaque disque vendu vingt euros, tu n'en toucheras qu'un ou deux. Ben, c'est normal, non ? Ce sont les autres qui font le sale boulot, celui qui ne t'intéresse pas vraiment : courir partout pour essayer de vendre ta camelote, tenir une comptabilité, gérer des stocks...
Ce sont aussi d'autres que toi qui ont pris tous les risques financiers et qui essaient de rentrer dans leurs frais, puis de faire du profit. Toi, si ça marche, tu es gagnant. Si ça ne marche pas, tu ne perds rien d'autre que tes illusions.

Et puis, si un jour tu as du succès, si tu es connu partout, si les gens aiment tes chansons, tu t'apercevras aussi que quelques marioles s'amusent à pirater tes disques, à en revendre des copies derrière le dos de ton producteur, à en télécharger les chansons sans que tu puisses faire quoi que ce soit pour les en empêcher. Tu te diras : c'est moche, hein ?

Oui, parce que chaque disque piraté te privera d'un ou deux euros de royalties.

Bien sûr, les gens qui te piquent ta musique – donc ton travail et ton gagne-pain – sans te payer un kopeck, diront pour leur défense que « tout le monde fait ça » et puis « que c'est pour emmerder les salauds de producteurs qui se bourrent les poches à tes dépens » et « que c'est pour défendre la liberté d'expression » et autres conneries du genre.

À ce moment, tu penseras sûrement que tu as bien fait de ne pas assumer toi-même toute la charge financière et tout le boulot de promotion et de distribution, parce que ces pirates hypocrites, au lieu de te gruger d'un ou deux euros par disque, ils t'en prendraient dix fois plus !

mardi 17 janvier 2012

Les couillons dans l'Histoire (3)

Par définition, un couillon, c’est un imbécile. Mais puisqu’il y a toutes sortes d’imbéciles, il est inévitable qu’il y ait toutes sortes de couillons. Et puis, à la longue, le mot « couillon » a fini par endosser plusieurs acceptions.

On dit souvent, par exemple : « et nous, pauvres couillons… »
Parce que c’est vrai que le contribuable, c’est un pauvre couillon. Est-ce à dire qu’en chaque contribuable sommeille un imbécile ? Plutôt une sorte de pigeon, de mouton, de brave bête acceptant d’être plumée ou tondue par les décideurs qu’il a lui-même mis en place. Un gogo, en quelque sorte. Parce que le gogo est une sorte de couillon. Un imbécile pas tellement imbécile, mais plutôt rendu impuissant par ceux qui maîtrisent des mécanismes qui lui échappent. Ne dit-on pas : « se faire couillonner » ? Chez vous, je ne sais pas, mais chez moi, oui. En Belgique, nous nous faisons régulièrement couillonner (et je ne parle pas du sport international, genre Coupe du Monde de football). Vous en trouverez quelques exemples ici.

En Belgique francophone et plus particulièrement en Wallonie, un couillon, c’est aussi un froussard. Par extension sans doute du terme wallon « coûyon », qui qualifie une personne ayant les jetons (mais pas au casino, où celui qui a les jetons est un veinard).

Donc, lorsque j’évoque les couillons dans l’Histoire, c’est au sens large. Dans toutes les acceptions du terme.

Par exemple, un couillon qui entrera certainement dans l’Histoire, c’est ce pauvre commandant Schettino. Comment n’en pas parler ? C’est lui qui, sans doute pour fêter dignement le centenaire du lancement et du naufrage du « Titanic », nous a concocté une catastrophe maritime, humaine et, possiblement, écologique.

« Tout le monde le montre au doigt ; sauf les manchots, ça va de soi », chantait Maître Georges. Alors, on brandit vers ce pauvre commandant de bord des index accusateurs. C’est sûr, il a déconné. C’est sûr, il va payer. Mais ne l’accablons pas, parce qu’il n’est pas le seul couillon dans l’affaire, contrairement à ce que tentent de nous faire gober ceux qui essaient de se dédouaner de toute responsabilité.

Et tout d’abord, ceux qui construisent ce genre de paquebot et l’exploitent en même temps que le personnel qui y travaille (de toutes nationalités, mais beaucoup de Philippins logés dans les cales - ou à peu près), ne sont-ce pas des couillons de première ?

Le capitaine est seul maître à bord, paraît-il (après Dieu, préciseront les croyants). Mais confie-t-on un navire de cette valeur et le destin de cinq mille personnes aux seules décisions d’un seul homme, si celui-ci n’est pas estimé compétent ?

Alors, comme ça, chez Costa Croisières, on déclinerait toute responsabilité ? Les couillons qui dirigent la compagnie semblent tout prêts à accabler un seul pauvre type qui a un peu pété les plombs, alors qu’à l’heure de la modernité, des technologies de pointe, des satellites, des GPS et de tout le toutim, les moyens devraient exister pour empêcher justement qu’un seul gus puisse foutre la merde de cette façon-là sans que personne puisse réagir rapidement et efficacement pour l’en empêcher !

Dans les médias, le « Titanic » refait surface (le nom, pas ce qui reste du navire). C’est vrai que si la tragédie du « Costa Concordia » s’était produite en pleine mer, nous aurions eu droit à une catastrophe d’une autre ampleur, propre à remettre en question la conception et l’existence même de villes flottantes dans le genre de cet engin démesuré.

J’ai entendu ce matin à la radio quelqu’un rappeler que le drame du « Titanic » avait été le manque de canots de sauvetage. Il n’y en avait pas assez.
En effet. Moins de places disponibles dans les barquettes que de personnes présentes à bord, c’est effectivement trop peu de barquettes. Mais lors d’un naufrage, il y a toujours trop peu de barquettes. De même que les secours sont toujours trop loin et arrivent trop tard, ou ne peuvent pas intervenir efficacement parce que la mer est toujours mauvaise, etc.

Voilà cent ans que le « Titanic » a sombré. Voilà soixante ans qu’Alain Bombard a expliqué que les canots de sauvetage, il n’y en a jamais assez parce que la plupart sont inutilisables dès que le bateau prend de la gîte. Or, quand un bateau coule, il le fait rarement sans prendre de la gîte. D’un côté, les canots sont en méchant surplomb, difficiles à atteindre et à mettre à l’eau ; de l’autre ils ne servent plus à rien puisqu’ils pendent au-dessus du navire.
Ajoutez-y que, dans la panique généralisée, des canots presque vides sont mis à l’eau alors que d’autres, surchargés, menacent de chavirer. Des gens sautent, pataugent et se noient, faute de trouver un objet flottant auquel s’accrocher.
Des canots gonflables (se gonflant automatiquement par cartouche d’air comprimé dès qu’on les jette à l’eau), comme le suggérait Bombard, n’aideraient-ils pas ? C’est mieux que rien, en tout cas !

Les choses ont-elles changé depuis 1912 ? Les armateurs sont-ils moins avides de profit ? Les paquebots sont-ils mieux conçus ? Les officiers mieux formés ? Les exercices d’évacuation bien organisés et bien compris ? Et ces exercices serviraient-ils vraiment à quelque chose ?

Mais comment discipliner plusieurs milliers de touristes qui, fort logiquement, ont la trouille de leur vie et ne songent qu’à sauver leur peau ?
« En rang par quatre, gilet de sauvetage, les femmes, les enfants et les plus richards d’abord et, surtout, pas de panique ! » Pas de panique !
Mais panique il y a, dès qu’il s’agit d’évacuer, et c’est bien compréhensible. Les héros sont rares ; et un gus qui se sacrifie pour sauver les autres d’abord et lui ensuite, quelque part, c’est un couillon. Un brave type, certes, mais un couillon. Un brave couillon.

Pour en revenir au drame qui occupe les médias ces derniers jours, notons la circonstance aggravante pour le mégacouillon désigné grand responsable du naufrage du « Costa Concordia » : il n’est pas resté le dernier à bord de l’épave. Quel scandale ! Manquement au devoir le plus élémentaire du commandant, qui se doit de sombrer, s’il le faut, en même temps que son bateau si tout le monde n’en a pas été évacué, avec ou sans cantiques.

Voilà une monstrueuse bévue qui rappelle non pas le « Titanic », mais un autre navire tristement célèbre : la « Méduse ».
Échouée sur un banc de sable, au large de la Mauritanie, en 1816, la « Méduse » dut être évacuée. Comme il manquait de place dans les canots de sauvetage (vous voyez que le problème n’est pas neuf !), Hugues Duroy de Chaumareys, commandant de bord, songeant avant tout à sauver sa carcasse, s’embarqua avec quelques privilégiés et du ravitaillement dans la meilleure des chaloupes, abandonnant près de cent cinquante malheureux sur un misérable radeau. Une quinzaine d’entre eux survécurent et c’est à peine si on accorda foi au témoignage de ceux qui étaient encore en état de parler ! Gros couillon de l’Histoire, Chaumareys ne fut même pas inquiété.

Parce que parfois, les couillons sont des privilégiés, bien protégés par d’autres couillons tout aussi privilégiés…

Mais j’arrête là, sinon je vais parler de politique.

mardi 10 janvier 2012

Les couillons dans l'Histoire (2)

Luis Ocaña

Juillet 1971

Un type fait chier son monde, sauf les Belges en général : Eddy Merckx. Le « cannibale » gagne presque toutes les courses où il s'aligne. Qui pourra donc le battre ?

Cette année-là, au Tour de France, on compte sur un crack, un véritable grimpeur – ce que Merckx n'est pas – qui roule bien contre le chrono et a suffisamment d'envergure pour remporter la grande Boucle : Luis Ocaña. Lui seul semble de taille à faire douter le champion.
Il est Espagnol, mais il habite Mont-de-Marsan. De quoi s'attirer, en plus de la ferveur des Ibères, les faveurs de nombreux supporters français.

En état de grâce lors de l'étape d'Orcières-Merlette, Luis met la raclée à un Eddy défaillant, victime de crampes d'estomac et doutant de tout. Avec huit minutes dans la vue, le Belge comprend que c'est foutu : il court désormais pour la seconde place.

Le lendemain de sa cuisante défaite, le « cannibale » profite d'une étape rapide en descente pour lancer dès le départ une grosse attaque-surprise qui lui permet de se détacher avec un groupe de « battus » de la veille et de reprendre deux minutes à son rival, piégé avec de nombreux autres coureurs. C'est bien, mais insuffisant. D'autant qu'il reste de la montagne, terrain de prédilection de l'Espagnol.

Un chrono permet néanmoins au Belge de grignoter un peu de son retard et, surtout, de redorer son blason, mais il sait qu'il court toujours pour la seconde place.

Voilà les Pyrénées. Dans le col de Mente, alors qu'il fait un temps à ne pas mettre un chien dehors, Eddy attaque au bluff dans la pluie et la grêle. Il est bon descendeur, il n'a rien à perdre. Et Luis commet la couillonnerie la plus monumentale de sa carrière : il essaie de suivre dans la descente, se prend une gamelle et se voit contraint à l'abandon.

Merckx remporte le Tour 1971 et Ocaña le maillot de super loser.

Quel couillon ! Il aurait pu limiter tranquillement les dégâts, mais non : à quoi bon se contenter de vaincre son adversaire, quand existe une possibilité de réussir à l'humilier ?

Luis en sortira tellement marqué qu'il appellera son chien « Merckx ». Le seul Merckx qu'il pourra mettre à ses pieds.


En 2012, les frères Schleck se laisseront-ils encore couillonner ? De mauvaises langues prétendent que tant qu'ils courront dans la même équipe, aucun des deux ne remportera le Tour.


L'avenir nous apprendra s'ils pourront figurer parmi les couillons du vingt et unième siècle.




Dick Rowe

Premier trimestre 1962

Un mec court les maisons de disques, donne des coups de fil, propose des démos. Il est manager.
En janvier, le groupe dont il a pris en mains la destinée est allé enregistrer une démo pour Decca Records.

Chez Decca, on se fait tirer l'oreille. On tergiverse. Puis on finit par répondre que non, ça ne va pas. Tony Meehan, directeur artistique, finit par dire que « c'est trop bluesy » et que « ça ressemble trop à du rock'n'roll, c'est plus dans le coup ».

Chez Decca, en effet, on est persuadé que le rock'n'roll est mort.

D'ailleurs, le boss de Decca, Dick Rowe, sent très bien comment va évoluer l'univers musical : « Les groupes à guitares vont bientôt disparaître », dira-t-il au malheureux manager.

Le manager en question s'appelait Brian Epstein, et le groupe, The Beatles.

Quant au visionnaire Dick Rowe, on peut certainement le ranger parmi les plus gros couillons du vingtième siècle.

mardi 3 janvier 2012

À mes lecteurs et collègues scribouillards

Maintenir un blog est une occupation créative qui peut à la fois entretenir le plaisir d'écrire, d'être lu et de communiquer ; comme générer des moments de perplexité, d'embarras ou de frustration. Perplexité devant certaines réactions ou absence de réaction ; embarras lorsqu'il s'agit de répondre ou, plus prosaïquement, d'écrire la petite bafouille hebdomadaire grâce à laquelle notre petite gazette vit et évolue.

Je tiens à remercier ici tous ceux qui, au cours de la première année d'existence de ce blog, m'ont fait l'honneur de lire mes scribouillages. Je leur adresse à tous, ainsi qu'à toi qui en ce moment parcours ces quelques lignes, mes meilleurs vœux de bonheur, santé et prospérité pour 2012.

Je salue et remercie plus particulièrement tous ceux qui ont eu la gentillesse de laisser un petit commentaire – et même plusieurs – à l'issue de leur lecture. Ça fait toujours plaisir ! Toute ma sympathie, donc, à Stoni, Paniss, Trofimov, Shanky Shanka, Lilly C, Angie, Philippe, Marco... et d'autres encore qui ne se sont pas nécessairement nommés. Merci également pour les liens vers mon petit blog !

De temps à autre, en visitant les statistiques de mes pages, je découvre par quels chemins – parfois détournés – les visiteurs sont parvenus jusqu'à moi. Quel lien ils ont suivi, quelle question ils ont posée dans leur moteur de recherche...

Décembre et janvier sont des périodes de fièvre particulièrement intense pour certains fanas de l'écriture qui, au hasard de leur recherche d'un éditeur, ont visité le site Les Nouveaux Auteurs et décidé de tenter leur chance à l'un de leurs concours annuels.
J'ai publié à ce sujet une série d'articles, fruits de mon expérience personnelle et de témoignages recueillis ici et là auprès d'autres anciens participants, destinés à informer les nouveaux candidats quant à ce qui les attend. Si la question vous intéresse, suivez les liens vers lesdits articles, où vous trouverez de multiples détails quant à ces concours VSD et Femme actuelle et au Comité de Lecture citoyen qui note et critique les manuscrits.

Ces derniers temps, la question qui préoccupe un grand nombre de mes visiteurs est : « en attente de décision ». Les Nouveaux Auteurs ne communiquant que très peu et très mal – probablement par économie de temps et de moyens en personnel – sur leur site aussi bien que par messages personnels (chose logique, s'agissant de concours), les candidats s'interrogent : sont-ils sélectionnés ? Ont-ils leurs chances d'émerger ?

Rappel : après l'envoi par courriel de son roman, le candidat reçoit en retour un accusé de réception l'informant qu'il participe au concours pour lequel il s'est inscrit. En se connectant sur le site Les Nouveaux Auteurs, le manuscrit est noté « en attente de décision ». Ça veut dire : attends des nouvelles et fais pas chier. Si ton roman passe le premier tri, il sera donné en lecture au Comité (si tu es toujours d'accord, bien entendu). En attendant, t'énerve pas. Une fois atteinte la date limite pour les envois, traditionnellement au 30/11 mais reportée à titre exceptionnel et habituel chaque année au 15/12, un premier tri sommaire doit être opéré, au terme duquel certains resteront « en attente de décision » pendant de longs mois. Pour ceux-là, ce sera cuit.

Les autres recevront, courant janvier, un message électronique les informant de leur sélection et leur demandant de confirmer leur participation.
Dans l'attente de ce message, la fièvre monte, les angoisses étreignent, les yeux se fatiguent devant les écrans et les doigts s'agitent sur les claviers. « En attente de décision ». Toujours « en attente de décision ». Saperlipopette !
Mais faut pas s'énerver. Essayer la marche, souvent, ça calme.

Donc, pour le moment, ce « en attente de décision » soulève des interrogations et promène sur la Toile plusieurs centaines d'auteurs amateurs stressés.

Ceux-là, je tiens à les rassurer : c'est pas grave. Les Nouveaux Auteurs, c'est un éditeur et rien qu'un éditeur. Comme bon nombre de ses concurrents, et bien qu'il tente de faire croire le contraire, il méprise les auteurs, est là pour faire du fric et pas du sentiment, se prend pour Dieu le Père et profite d'une situation qui lui est favorable (beaucoup d'appelés, peu d'élus) pour poser ses conditions et balayer d'un méprisant revers de main les objections qui pourraient être formulées.

Rien de neuf sous la pluie.

Dans un mois ou deux, la fièvre montera une nouvelle fois : fin mars, début avril, les lauréats seront choisis, les contrats signés. Les candidats ayant passé le cap de la première sélection auront vu le statut de leur manuscrit passer de « en attente de décision » à « en cours de notation ».

Ce sera une autre question angoissante promenant sur le Web les auteurs stressés : « en cours de notation ». C'est quoi, ça ? Et ça dure longtemps ?

Oui, ça dure longtemps. Jusqu'en mai, facilement. Entretemps, certains auront reçu un courriel ou un coup de fil les priant de signer un contrat sans savoir s'ils ont remporté un prix. C'est la méthode de la maison ; à prendre ou à laisser. Les autres, on ne leur dira rien.

Auteur, ne t'en fais pas !
Tu n'as pas passé le stade du premier tri ? La belle affaire ! Sache qu'ils n'ont même pas lu ton roman. Un passage ici ou là, tout au plus, à l'issue duquel ils t'ont rejeté. Ton manuscrit est-il mauvais ? Trop bon ? Trop court ? Trop long ? Ils ne t'en diront rien, car ils en sont incapables. Et puis, ils s'en foutent.

Auteur, ne t'en fais pas !
Tu restes obstinément « en cours de notation » ? Après proclamation des résultats, tu pourras sans doute découvrir les fiches de lecture et savoir peut-être pourquoi ton manuscrit n'a pas séduit le Comité de Lecture citoyen. Au milieu de l'avalanche de lieux communs, de fautes d'orthographe et d'ânonnements de quidams souvent infoutus d'écrire deux lignes en langage correct mais s'estimant très compétents pour noter ta prose, tu trouveras peut-être une ou deux remarques intéressantes émises par des gens intelligents, constructifs et respectueux de ton boulot.

Si par contre on te propose un contrat, sache que c'est sans doute là que commencent les pires emmerdements.

En attendant la gloire et la fortune qui, c'est sûr, arriveront un jour après tes funérailles, je t'adresse, cher auteur amateur, mes confraternelles salutations ainsi que mes meilleurs vœux de réussite dans ton entreprise.