samedi 31 mars 2012

C'est grave, docteur ?

Bien que je ne sois pas coutumier de la chose, je vais vous entretenir d'un livre. Un livre que j'ai lu – preuve que ça m'arrive de temps à autre de lire vraiment quelque chose – et qui m'a bien fait rire. Son titre, pourtant, ne laissait pas supposer que j'allais en arriver à me tenir les côtes ou me taper sur les cuisses, ce que je n'ai d'ailleurs pas fait parce que ça m'aurait obligé à le lâcher et que je n'en éprouvais nulle envie, mais des larmes de plaisir n'ont pas manqué d'humidifier les coins de mes yeux.

Le monsieur très bien qui a écrit ça s'appelle Michel Sapanet et, comme le titre de son recueil l'indique, exerce le joyeux métier de médecin légiste. La quatrième de couverture donne un avant-goût des réjouissances qui attendent le lecteur lorsqu'il découvrira les passionnants agissements du héros :

« Sa vie, c'est la mort. Égorgés, poignardés, étranglés, pendus, noyés, tués par balle, tous finissent par parler. »

Gasp ! Et moi qui croyais, comme la plupart des mafiosi, que seuls les morts ne parlent pas, me voilà pour mes frais ! Et ce n'est pas tout :

« Exploration des boîtes crâniennes, inspection des chairs mortes, ouverture des cœurs, voici le quotidien extraordinaire d'un homme ordinaire. »

Un homme ordinaire, je veux bien, mais est-on un homme ordinaire lorsqu'on se livre à l'activité particulièrement ludique de « faire parler les morts » ?

Rangez vos gousses d'ail, votre eau bénite et vos crucifix ! Abandonnez vos pince-nez, vos gants de latex et votre flacon de désodorisant ! Et surtout, abstenez-vous de penser que je suis un maniaque pervers aimant se repaître de lectures sanguinolentes et purulentes juste bonnes à remplir des sacs à vomi. Non, le crime ne me fait pas rire, l'horreur ne me fascine ni ne me réjouit, mais j'ai trouvé ce bouquin plutôt hilarant.

Le début surprend, déroute et, à la limite, dégoûte même un peu ; mais Michel Sapanet a vite fait de prendre le lecteur par la main, de le rassurer et de lui expliquer que tout cela est normal, logique, implacable et... tellement vrai !

De longues années de pratique ont conféré au médecin une forme de détachement qu'on ne peut qualifier de coupable, parce qu'il naît tout simplement des aspects routiniers d'un métier qui, l'expérience aidant, transforment l'étonnement des débuts en une sorte de cynisme de tous les instants. Ce n'est là ni cruauté, ni moquerie. Juste une manière de glisser un peu d'humour dans la viande froide pour tromper la tristesse du spectacle et donner une bonne petite claque aux mauvaises odeurs.

Dans ses « Chroniques d'un médecin légiste », Michel Sapanet pratique donc l'humour à froid ; ce type d'humour auquel on se risque parfois – non sans quelque honte – à la fin d'une journée de funérailles, après un drame de la route, une grande catastrophe... parce qu'on a besoin de respirer la vie et de rire entre les dents en songeant que ce n'était pas encore notre tour, mais que celui-là viendra malheureusement un jour et qu'en attendant...

Tout ce recueil comprenant une bonne trentaine d'histoires distinctes réparties en autant de chapitres n'est pas farci d'humour à chaque ligne, mais il m'a semblé, en le lisant, qu'il devenait de plus en plus amusant au fil des pages, comme si l'auteur avait débuté sur un mode mineur en s'autorisant petit à petit à lâcher la bride au cynisme.

Il est possible aussi que, d'abord intrigué puis surpris, je me sois accoutumé à l'ambiance de ces chroniques pour finir par les trouver drôles, alors qu'elles ne le sont peut-être pas beaucoup plus à la fin qu'au début.

Je ne puis toutefois m'empêcher de penser que Michel Sapanet a entretenu une certaine gradation dans l'agencement de ses récits et que, surtout, il a pris soin de garder pour la fin son histoire la plus étrange, la plus hallucinante, la plus déjantée... qu'il a traitée en deux chapitres badigeonnés d'un humour décapant.

Jugez-en plutôt :

« Un légiste, ça a le choix du style. Les difficultés du métier le permettent. Les circonstances aussi. Aujourd'hui, je me sens l'âme d'un Bérurier. Ça tombe bien : à peine la porte du château ouverte, l'odeur prend aux tripes. Un mélange dans la tradition des équarrisseurs. Il n'y a pas d'autre comparaison possible. Même les mouches noires, parmi les plus grosses que j'aie jamais vues, percutent les vitres à la recherche de la sortie. Sur le sol de la vaste entrée, un croc de boucher qui n'a rien à faire là. Et tout de suite, cette vision du corps. Le premier de la série. Je suppose une femme, vu le spectacle offert. Au bas de l'escalier d'apparat, la tête contre la première marche. Les globes oculaires exorbités au sens littéral du terme. Verts tous les deux. Pas les yeux, les globes. À moitié cachés par de longues mèches de cheveux. Une blonde manifestement. Le cou plié à quatre-vingt-dix degrés vers la droite. Rupture des cervicales, c'est évident. À poil, son beau cul offert aux regards. Toute dilatée. Pas par une défonce sexuelle. Non. Par la putréfaction.

Vite un cigare. La seule façon d'accepter l'odeur. En revanche, va falloir prévoir la douche...

Pendant que je m'approche, je sens des choses craquer sous mes pieds. Merde, j'ai oublié les protections. Je ne suis pas le seul d'ailleurs, le proc est dans le même cas et le regrette déjà. Des asticots, que je n'ai pas vus dans la lumière descendante de cette journée d'été.

Quoi ? Ça ne vous fait pas rire ? Même pas sourire ?
Je sais. Asséné comme ça, froidement, le spectacle des mouches et des asticots n'a rien d'hilarant.
Mais derrière ces descriptions teintées de cynisme apparaît le discours instructif d'un professionnel. Parce qu'on en apprend, des choses, sous la plume du docteur Sapanet !

(...)

Je reviens à ma blonde. Auprès de ma blonde... Tout un programme. Elle est noire. Tout de suite, un dilemme. Faut-il dire « c'est une Noire blonde » ou « c'est une blonde noire » ? C'est rare, les Noires blondes. Sauf quand elles sont décolorées. Une blonde noire, c'est plus classique, c'est une blonde putréfiée... ou alors elle est bourrée. Mais là, ce n'est pas sexuel, c'est alcoolique. En fait, ma blonde, ce n'est pas une vraie noire. Ni au sens ethnique du terme, ni au sens colorimétrique. Elle est plutôt vert foncé. Très foncé. En plus, ce n'est pas non plus une vraie blonde : les rares poils qui persistent sur sa vulve envahie d'asticots sont noirs.

D'ailleurs les asticots, eux, sont blancs. D'autant plus blancs que sa peau est noire. Gros et timides : ils essaient désespérément de rejoindre l'obscurité que troue ma torche spéciale (de la vraie torche, type torche de plongée, pas une loupiote ridicule). En allant au plus près : chaud, noir et humide. Ils ont le choix : l'anus ou le vagin. Grand moment de poésie. J'espère que cette image-choc ne viendra pas brouiller mon prochain câlin...

Ce n'est pas très ragoûtant, mais d'un autre côté, je me dis que les gens qui lisent les histoires de crimes, les thrillers et autres romans noirs, sont habitués aux scènes de ce genre ; et qu'on les décrive dans leur réalité toute crue en y ajoutant une pinte d'humour ne doit sans doute pas leur déplaire. De la même façon, ceux qui écrivent les enquêtes de flics autour des agissements de tueurs psychopathes pourraient tout aussi bien en prendre de la graine et, à la lumière du présent ouvrage, réussir à rendre leur fiction aussi incroyable que la réalité.


(...)

Le substitut du procureur :

Alors, docteur ?

Encore dans mes pensées, la réponse m'échappe, comme si j'avais annoncé une vérité incontournable :

Pas de doute, monsieur le procureur, c'est une partouze. C'est sexuel.
Comment avez-vous deviné ? Vous n'avez pas vu les autres corps !
Euh, je parlais des asticots... Double pénétration, multitude de partenaires, ça s'agite dans tous les sens, pas de doute, c'est une partouze. »

J'arrête là, mais si cette lecture ne vous a pas encore donné la nausée, sachez que la suite est encore plus drôle !

samedi 24 mars 2012

Les Nouveaux Auteurs : changement de tactique ?

Voici donc une retouche salutaire appliquée au contrat d’édition proposé aux finalistes des concours annuels, chez LNA : dorénavant, l’importance du premier tirage est écrite noir sur blanc avant signature.

Rappel : auparavant, l’éditeur choisissait les finalistes des concours parmi les candidats dont les manuscrits avaient recueilli les meilleures notes auprès du Comité de Lecture Citoyen. Il leur était proposé un contrat d’édition à compte d’éditeur dont les chiffres de tirage restaient hypothétiques, puisque seuls deux ou trois de ces finalistes recevraient ensuite un prix assorti d’une véritable distribution à grande échelle avec publicité appropriée. Les heureux élus pouvaient sans doute s’en réjouir, mais les autres semblaient promis à un sort moins enviable. Toutes les informations dans cet article.

J’ai donc été informé que LNA change désormais de méthode, en jouant franc jeu avec les meilleurs candidats. La raison évoquée de ce revirement serait un souci de simplification, ce qui n’est sans doute pas faux, mais probablement incomplet.

À la lumière des divers témoignages qui m’ont été transmis ou que j’ai recueillis depuis novembre 2009, époque à laquelle j’ai découvert cet éditeur aux méthodes aussi originales que contestables, j’ai la nette intuition que ce changement est dicté par d’autres raisons pratiques.

En premier lieu, il me semble que faire signer un contrat d’édition ne mentionnant pas clairement l’importance du tirage initial est quelque part à la limite de la légalité. Sans doute l’éditeur utilisait-il l’une ou l’autre formule lui permettant de contourner les usages, mais ce procédé était-il viable ? Il devait de toute façon engendrer déception et mécontentement chez les auteurs ayant signé et ne bénéficiant pas ensuite du même sort que les lauréats.

J’ai par ailleurs l’impression que de plus en plus de candidats commençaient à devenir méfiants. La maison d’édition est jeune, mais à mesure que les années passent, les témoignages se multiplient sur la Toile, les forums s’animent… Les centaines de participants aux concours, avides d’informations pendant les longues semaines d’attente avant la proclamation des résultats, font leurs propres recherches et découvrent des témoignages, des blogs, des forums…

D’autre part, les premiers auteurs ayant signé chez LNA arrivent tout doucement au terme de leur contrat de cinq ans, annonçant la probable diffusion d’autres témoignages et l’importance pour l’éditeur de penser à s’offrir une bonne conduite.

Enfin, on peut supposer que, depuis 2007, LNA a obtenu la signature d’un nombre bien suffisant d’auteurs s’étant engagés pour plusieurs années et plusieurs romans aux mêmes conditions : cinq pour cent de droit d’auteur et rien sur les cent premiers exemplaires vendus.

Rappelons toutefois à ce propos que si cette marge peut paraître pingre, elle l’est moins si les ventes sont très importantes. Mieux vaut sans doute cinq pour cent sur trois mille bouquins que dix pour cent sur trois cents. Par contre, en cas de gros succès commercial de son premier roman, il reste à espérer que l’auteur puisse négocier un avenant à son contrat pour le suivant, parce que cinq pour cent de royalties pour un auteur qui s’est fait un nom, c’est vraiment très peu.

Tout cela mis de côté, il reste quelques données obscures, comme les chiffres de vente des romans édités par LNA, fussent-ils ceux des lauréats des concours. Cinq, dix, vingt mille exemplaires, ce n’est pas banal et, pour un premier roman, c’est même plutôt impressionnant ; mais si l’essentiel de cette production finit au pilon, c’est déjà moins réjouissant. Et si ensuite l’éditeur « se débarrasse » de l’œuvre en la cédant à un confrère qui la commercialisera au format « poche », je me demande si l'auteur ne nourrira pas quelque regret sur les cinq pour cent contre lesquels il a cédé ses droits.

Cela dit, les chiffres de vente des bouquins, ça reste généralement assez vague, dans le milieu. Une sorte de f(i)lou artistique... 


(Pour vous assister dans votre quête de la reconnaissance et du succès, voyez ici comment écrire un roman pour remporter un concours organisé par Les Nouveaux Auteurs.)


22/01/2013 : Vous trouverez dans cet article de nouvelles et importantes informations quant aux méthodes à présent utilisées par l'éditeur pour "transmettre" les manuscrits aux membres du Comité de Lecture Citoyen.

mercredi 21 mars 2012

Le louloup et le chienchien


Le louloup et le chienchien

Un grand louloup famélique
Parcourait les allées d’un Salon
Et sur les livres, les affiches, les rayons,
Promenait un regard mélancolique.

« Qu’ils doivent être heureux ces chienchiens,
Bien installés derrière leurs tables !
Auprès d’eux j’ai l’air d’un minable »,
Méditait-il, jaloux un brin.

Un peu plus loin il s’immobilise
En face d’un toutou bien portant
Et s’informe d’un ton innocent
Sur la réussite de son entreprise.

« C’est agréable », lui dit le chienchien,
« Regarde donc tous ces bouquins,
Tous ces volumes autour de moi
C’est moi qui les ai conçus et, ma foi,
Chaque jour qui passe me trouve bien aise
Qu’à tant de visiteurs ils plaisent. »

« Mais que fais-tu donc pour ça ? »
« Rien, je ne m’en occupe pas,
C’est Requinquin mon éditeur
Qui prend en charge la promotion,
La vente et la distribution,
Et me reverse mes droits d’auteur. »

« Et tu en touches beaucoup et souvent ? »
S’inquiète le louloup envieux
En salivant un petit peu.
« Requinquin me les paie une fois l’an,
Je lui fais confiance, évidemment,
Car ce serait trop long pour moi
De vouloir contrôler sur le tas
Les chiffres de vente, la promotion,
Puis la quantité finissant au pilon. »

« Et tu n’es pas trop ennuyé
De ne rien pouvoir vérifier ? »
« Bien sûr que non », répond Chienchien,
Mais son ton est moins assuré
Que les mots qu’il a utilisés.
« Tu comprends », explique-t-il encore
« C’est entre nous un arrangement,
Requinquin fait le plus chiant.
Moi je réserve mon énergie
Pour mon talent et mes envies. »

« Et ça occupe tout ton temps ? »
« Tout mon temps libre, c’est évident !
En ce moment je retravaille
Le dernier de mes manuscrits
Que Requinquin m’a retransmis
Pour modifier divers détails
Du scénario, des personnages ;
Et je dois supprimer un passage
Qui déplairait, dit-il, à son lectorat
Et donc au mien, cela va de soi. »

« Comment ça ? » s’étonne le louloup,
« Tu n’es donc pas libre d’écrire
Les choses que ton esprit t’inspire
Et telles qu’elles sonnent bien à ton goût ? »
« Dame ! Je ne contrôle pas tout ! »
Répond l’autre avec la mine contrite
D’un gaillard qui n’a pas la frite.
« Pour réussir dans l’édition,
On exige des compromissions. »

« Des compromis ? Pourquoi pas des diktats ? »
S’écrie Louloup à qui on ne la fait pas.
« Garde donc bien ton éditeur,
Tes échéances et tes droits d’auteur ! »

Et à ces mots prononcés bien fort,
Louloup s’enfuit et court encore.


lundi 12 mars 2012

Toujours des actualités à la con


* En Belgique commence le procès d'un type qui, pour se venger de la nana qui l'avait largué, s'était pointé chez elle pour la défigurer au vitriol. Apparemment, le mec risque une peine pouvant aller jusqu'à trente ans de réclusion. S'il n'y laisse pas sa peau, il peut déjà s'estimer heureux.


* Les affaires (il faut bien mettre le pluriel) DSK commencent à prendre des allures éléphantesques. Je ne voudrais pas prendre sa défense (s'il est question d'éléphant, il vaut mieux éviter ça), mais force est de constater qu'à présent que Dodo-la-luxure est bien tombé par terre, plus personne ne se gêne pour lui balancer des coups de pompe. Il en est même qui glissent dans la conversation un argument de poids : à présent que l'ex-gros bonnet du FMI n'est plus intouchable, ils ne sont plus obligés de se taire. C'est bon à savoir, dans un pays démocratique.


* La Grèce est au régime strict. Je ne sais pas si les Hellènes étaient trop gras, mais j'ai un peu l'impression que ce ne sont pas nécessairement les mieux en chair qui devront le plus se serrer la ceinture. Voilà une pilule amaigrissante vraiment très difficile à avaler.
En attendant, que ça ne nous empêche pas d'aller à Mykonos ou à Corfou, la conscience tranquille puisque c'est pour faire marcher le tourisme.


* Retour en Belgique où le gouvernement fédéral (si, si, on en a un, rappelez-vous) vient de refaire ses calculs et de décider de nouvelles économies. Un peu ici, un peu là-bas, ça reste nébuleux entre les réductions des dépenses des ministères, la lutte contre la fraude fiscale et la taxation des opérations financières. On comprend que ça puisse rapporter de l'argent, mais je me demande bien comment ils arrivent à avancer des chiffres. Ou alors, une idée en passant : ils savent combien de pognon passe entre les mailles (très lâches) du filet du Ministère des Finances, mais ils n'osent pas vraiment le dire.
Une chose est sûre, par contre : les dix centimes d'accises supplémentaires sur le paquet de clopes. Ça, au moins, c'est facile, ça marche, et c'est pour la santé de tous. Vive les fumeurs ! Grâce à eux, je paie moins d'impôts !
Comment ? Une taxe supplémentaire sur la bière trappiste ? Vous n'y pensez pas !
Ou alors, si. Mais uniquement sur la Westvleteren. P... de moines !


* Moi, je m'étais dit : tiens, quand je mourrai, je me ferais bien incinérer. Moins de déchets, pas de gros caveau à entretenir, c'est à la mode. Bon, être brulé, ça fait mal, mais on ne va pas regarder à ça.
Par contre, ce week-end, j'ai vu à la télé que les gestionnaires des crématoriums, avant de remettre à la famille les cendres du défunt, prennent bien soin de les tamiser pour les débarrasser des divers débris pas vraiment cramés et réduits en poussière, style ornements et poignées de cercueil, bijoux, prothèses...
Eh oui ! Rien ne se perd, rien ne se crée, tout se transforme. La récolte part dans une usine de recyclage, chez nos voisins des Pays-Bas, où tout est refondu, coulé en lingots et... revendu. Il paraît même qu'une bonne partie de la valeur de la récolte retourne au crématorium. Le responsable nous a cependant assuré, la main sur le cœur, que ce « bénéfice » était distribué à des œuvres caritatives.
Amen.


* Moins sérieusement, on peut faire un petit retour chez nos voisins du sud-sud-ouest, qui doivent bien se marrer avec la campagne pour l'Élysée. Sarko ratisse large : vers les un petit peu racistes, vers les un petit peu anti-européens, vers les partisans de la politique de sa bonne copine Angela, vers les anti-rouges... Oui, vraiment, il ratisse large.
C'est plus facile pour lui que de ratisser haut, en fait.

Edit. 13/03 :
Et si ça ne suffisait pas pour Sarko, voilà l'embarrassante question du financement de sa campagne électorale de 2007 qui refait surface. Nicolas dément avec fermeté. Un peu avec la même fermeté qu'il affirmait n'avoir jamais de sa vie consommé une goutte d'alcool, lorsque fut diffusée la vidéo de son arrivée à la tribune après un entretien avec Poutine et que certains osèrent insinuer qu'il avait tâté de la vodka.


lundi 5 mars 2012

Les foires, les salons et le monde cruel de l'édition

Après avoir répertorié dans cet article les principaux types d'édition, leurs avantages et inconvénients, ainsi que les pièges à éviter ; permettez-moi de vous parler des lieux de grande réjouissance que sont les foires et salons.

À Paris, on dit « Salon du livre », mais chez nous, en Belgique, c'est la « Foire du livre ». Cette petite nuance de vocabulaire peut donner à penser qu'il s'agit de manifestations à l'ambiance radicalement différente l'une de l'autre. « Salon », ça confère au discours une connotation classieuse, posée, annonciatrice d'un événement se distinguant par son calme feutré et son confort rassurant. À l'inverse, le mot « foire » évoque les débordements bruyants d'une foule bigarrée en un lieu où l'amateur de bonnes choses est généralement bien inspiré d'éviter de s'attarder quand il tient à son intégrité physique et à sa santé nerveuse.

L'aspect foireux s'impose instantanément à l'esprit lorsqu'on tente de se frayer un chemin vers l'entrée du parking des visiteurs, à Tour & Taxis (un nom qui fleure la littérature), ce qui n'est déjà pas une mince affaire quand il convient de circuler au pas (si ça avance !) sur une avenue pavée recouverte de voitures dont les conducteurs s'entêtent à vouloir passer avant vous, au mépris de toute courtoisie. Ajoutez-y qu'après avoir dévoré la moitié de son volant, il faut encore manœuvrer son véhicule au gré des multiples nids de poules criblant la plus grande partie des zones de stationnement (à 5 euros l'emplacement, c'est cher de l'omelette), vous aurez déjà un aperçu de la valeur symbolique du mot « foire ».

Dans un cadre qu'on peut situer à mi-chemin, question aspect, entre le hall de gare et l'entrepôt pour matériaux de construction, les exposants font de leur mieux en matière de décoration afin que le visiteur s'inquiète le moins possible de l'état des murs et plafonds. La charpente semble solide, toutefois. Le ciel ne risque pas de leur tomber sur la tête.

On m'avait dit : « Tu vas là ? Les foires et salons, tu sais... » C'est vrai que nombre d'auteurs n'aiment pas ça. De l'inconnu rêvant de gloire et de fortune, mais qui s'enquiquine à longueur d'après-midi dans l'attente de la bonne âme qui va s'intéresser à sa production, jusqu'à la vedette harcelée par son éditeur pour offrir une séance de signatures qui lui procurera pour une heure ou deux l'assurance de respirer l'air vicié par le souffle oppressé de centaines d'admirateurs menaçant de lui renverser sa table, chacun peut trouver d'excellentes raisons de fuir l'événement.

Convaincu de n'appartenir à aucune des deux précitées catégories, de n'avoir rien à perdre et sans doute rien à gagner, j'ai estimé opportun de vivre cette « Foire du livre » depuis un lieu paisible, à l'écart de toute bousculade, les fesses bien calées sur une chaise, les coudes sur une table, mes livres autour de moi et un stylo-bille à portée de main (on ne sait jamais) ; d'écouter et d'observer.

Et je n'ai pas été déçu !

Lorsque, visiteur, vous parcourez les allées, vous avez vos propres méthodes, votre manière d'opérer qui peut être soigneusement calculée ou purement instinctive, mais vous détaillez généralement assez peu les personnes circulant autour de vous, à moins bien sûr de chercher quelqu'un dans la foule. Mais la plupart du temps, les autres vous gênent : ils marchent devant vous, vous bousculent, vous masquent la vue, vous bouffent l'oxygène...

Assis tranquillement, j'étais loin de ces préoccupations. J'observais. Une expérience amusante.

À mon grand étonnement, des gens semblaient s'intéresser à moi. À mes livres, veux-je dire. C'est bien sûr le genre de chose qu'un auteur espère voir se produire dans ce type d'endroit, mais la manière dont ça se passe ne manque pas d'intérêt.

Quelqu'un passe, ses yeux balaient le stand, accrochent une seconde quelque chose. Le pas se ralentit, la tête se tourne... Il semble à cet instant qu'un corps se décompose : les jambes ont adopté un rythme que le tronc est bien obligé de suivre, mais la tête songe soudain à autre chose qu'à ce déplacement presque machinal. Les pieds hésitent, s'arrêtent, pivotent...

C'est ce moment intense où deux regards se croisent, où un sourire et une parole de bienvenue assurent l'accroche. Tous les commerçants connaissent cet instant. Je ne suis pas commerçant, mais juste un scribouillard. Ce sont néanmoins des notions qui s'acquièrent très vite.

On songe rarement à cet aspect des choses lorsqu'on déambule entre les rayons d'une grande librairie ou dans les allées d'une foire aux livres, et pourtant, à moins de chercher une personne ou une image bien précise, nous nous laissons guider par notre regard, par notre intuition.

Dans ce rayon, sur cette table attendent des dizaines et des dizaines de bouquins ; et c'est une couverture qui attire notre attention. Un nom, parfois, si l'auteur est très connu, auquel cas l'éditeur a pris soin de l'imprimer en grand sur la jaquette. Souvent, on ne connaît pas l'auteur. Ou un peu, vaguement, de nom... Mais cette image, ce dessin, cette photo... ces couleurs, cette blancheur ou cette noirceur quelque part nous interpellent. Une main se tend, des doigts se serrent, le livre pivote et la « quatrième de couverture » s'approche d'une paire d'yeux avides.

Le bouquin peut alors retourner sur la table. Parfois, on y revient. On le soulève pour prendre l'autre, celui qui est en dessous, celui qui semble « vierge », celui qu'on n'a pas encore tenu en mains.

À la foire du livre, les visiteurs agissent de la sorte. Partout. Et même devant moi. Oui, certains s'intéressent à ma production, posent les doigts sur mes bouquins, les retournent... Je les renseigne, je leur explique s'ils le désirent. Ce sont des gens qui aiment les livres et, quelque part, je propose quelque chose qui les attire, les intrigue, les amuse... Je ne les connais pas, ils ne me connaissent pas, mon nom ne leur dit rien, mais nous échangeons quelques paroles autour de mes bouquins.

Eux, ce sont les lecteurs. Certains d'entre eux sont venus en famille. Avec leurs enfants. Et parmi ces enfants, il en est quelques-uns qui regardent les livres avec envie, les yeux brillants. « Oui, tu peux toucher ». Sourire. Une petite main se tend, tourne quelques pages. Non, il n'y a pas de dessins à l'intérieur, mais l'enfant le savait déjà avant d'y toucher. Il voit les lettres imprimées. Celui-là, plus tard, il lira des livres « comme les grands ». Son regard, fait de dépit et de défi mêlés, en est la promesse ; et une des images fortes de cette journée.


Mais il y a d'autres visiteurs, à la « foire du livre ». Des auteurs. Ils sont lecteurs aussi, bien sûr, mais ils ne sont pas venus pour ça. Ils sont venus pour eux. Ils iront éventuellement bavarder avec un copain auteur, mais ce qui les amène, c'est leurs propres problèmes : leurs espoirs, leurs doutes, leurs désillusions, leurs emmerdements...

Ce type, là, hagard, qui s'approche l'œil fiévreux, qui scrute, bafouille quelques questions qui n'ont rien à voir avec vous ni avec ce que vous faites, c'est un auteur. Un auteur en panne d'éditeur. Un qui cherche une solution à son problème. Et son problème, c'est qu'il a écrit un roman, un truc génial qu'on lui a déjà refusé à gauche et à droite, mais auquel il croit dur comme fer. Il a raison, tout compte fait. Si lui-même ne croit pas à ce qu'il fait...

Mais à ce mec, on ne la lui fait pas. Il s'est informé. Pas question de publier à compte d'auteur, comme certaines maisons ont osé le lui proposer avec enthousiasme. Ce type-là, il veut du « compte d'éditeur ». Il cherche la boîte qui va publier, vendre son livre et lui assurer, à lui, auteur de talent, la gloire et la fortune qu'il mérite autant sinon plus qu'un autre.

Avec ce gaillard, inutile de discuter. Pour lui, vous êtes un pigeon. Il vous envie et vous méprise tout à la fois. Dans le regard hautain qu'il vous adresse, vous devinez cette question : « Mais comment a-t-il fait ? » Et cette autre : « Pourquoi lui et pas moi ? Il a sans doute trouvé un éditeur à la con. Ou alors il a payé... »

Le gars s'en va. Speedé. Angoissé. J'espère qu'il ne va pas aller se jeter dans le canal tout proche si, à l'issue du dernier jour de la foire, il n'a pas décroché le contrat du siècle.

Tiens, une autre visiteuse. Un auteur. Elle a son badge, là, bien en évidence, attestant qu'elle est éditée. Quelque part, sur un stand, elle a signé ses livres pour ses lecteurs. Ou elle s'apprête à le faire. Pourquoi vient-elle près de moi ? Pourquoi s'intéresser à Ludovic Mir qui n'est ni riche, ni célèbre, ni rien du tout ?

Elle prend un de mes bouquins, pose quelques questions. Elle ne l'avoue pas, mais je comprends qu'elle est dans la merde. Elle est éditée, certes, mais ses espoirs sont déçus. Beaucoup d'auteurs le sont parce que les résultats ne sont pas à la hauteur de leurs attentes. Empêtrée sans doute dans un contrat avec un éditeur qui lui laisse la charge du travail de promotion, elle cherche à s'en sortir. Elle essaie de savoir si ça ne serait pas mieux ailleurs. Je décèle de l'aigreur dans ses propos, une forme de condescendance à l'égard de mes livres, mais aussi une lueur d'envie quand elle les regarde. Je devine ce qui lui ferait plaisir, ce qui la soulagerait peut-être pour un moment : que je lui parle d'elle. Que je m'intéresse à ses livres, qui sont sans doute quelque part loin de moi, sur un stand, et que je pourrais aller voir. Mais je n'en ai pas envie. Elle n'est pas sympa. Ses désillusions l'ont rendue agressive.

Des auteurs viennent encore. Ils sont nombreux. Ils ne sont pas édités, mais ils aimeraient bien. Pensent-ils que le mec qui est de l'autre côté de la table pourrait leur donner un coup de pouce ? Mais que puis-je pour eux ? Comment pourrais-je les « pistonner », moi qui ne suis rien qu'un scribouillard parmi des centaines de scribouillards ?

Beaucoup sont sympas. Ils sont curieux. Certains sont encore un peu comme l'autre type, là, avec ses yeux hagards et son stress permanent, mais la plupart sont simplement intéressés. Ils sont avides de savoir comment on fait pour avoir un bouquin avec son nom dessus sans y dépenser une fortune. À eux, je leur explique. Je les mets en garde contre les pièges de l'édition. Je leur dis comment, avec un contrat, on peut parfois être dans le caca.

Et puis je leur raconte que, non, on ne devient pas riche et célèbre en écrivant des livres. Certains le deviennent, mais ils sont rares. Les autres, ils rament ou ils adoptent l'attitude détendue qui procure le moins de frustrations. Ils ont un métier qui leur permet de vivre et ils écrivent par passion, pendant leurs heures de loisir. Et tout en s'autorisant à espérer qu'un jour la mayonnaise prenne, ils restent réalistes, veillent à ne pas signer n'importe quel bout de papier au bénéfice de l'un ou l'autre des nombreux arnaqueurs qui vivent de la naïveté de ceux qui s'illusionnent sur une réussite facile. De temps à autre, ils s'installent derrière une table, vendent quelques livres et papotent avec leurs lecteurs.

La gloire et la fortune ? Certes, non. Mais quelques heures de plaisir au service de leur passion, c'est déjà un cadeau du Ciel.