lundi 30 avril 2012

Le couillon de la quinzaine

Une belle quantité d'eau a coulé sous les ponts et, surtout, nous est tombée sur la caboche depuis que je vous ai entretenu de couillons pour la dernière fois.

Comme je l'ai déjà mentionné à plusieurs reprises sur les pages de ce blog, en plus d'être démodé je suis nostalgique ; nostalgique d'une époque pas si lointaine où l'émission « La semaine infernale » était encore diffusée sur la première chaîne de la radio francophone belge et me donnait l'occasion d'apprendre chaque vendredi qui serait l'heureux élu appelé « couillon de la semaine ».

L'émission n'est plus, mais la pépinière de la couillonnerie semblant inépuisable, je m'autorise de temps à autre à prendre le relais.

Pour rappel, un couillon c'est, par définition, un imbécile ; mais par extension le terme peut qualifier également un naïf, un « pigeon » et même un froussard. Qui ne connaît les « couillons de contribuables » ou les « couillons qui refusent de se battre » ?

La Belgique étant un petit pays, j'ai pris pour habitude de m'intéresser aussi à ce qui se passe chez mes voisins du sud-ouest et, compte tenu de ce qui s'y déroule en ce moment, il m'est soudain apparu opportun d'élire non pas un président, ce n'est pas mon rôle, mais un « couillon de la quinzaine ». Mais oui, je veux parler de cette joyeuse quinzaine séparant les deux tours de l'élection présidentielle française et qui nous donne, à nous autres Belges francophones, l'occasion de rigoler de quelqu'un d'autre que nous !

Je le confesse, nous avons fait très fort en politique, l'année dernière, avec nos six mois de crise gouvernementale, mais depuis nous nous sommes quelque peu apaisés, ce qui nous offre tout loisir de regarder ce qui se passe chez les autres.

La France est un grand pays, bien plus grand que la Belgique, mais gageons qu'il est un peu plus facile pour un Belge de comprendre la situation politique française que pour un Français de s'y retrouver dans notre salmigondis trilingue aux coalitions vacillantes !

Alors, moi, j'ai suivi les événements des dernières semaines – et plus particulièrement de la quinzaine en cours, celle qui sépare les deux tours de la présidentielle – et la tentation est devenue grande d'élire, avant que le nom du nouveau grand patron ne sorte des urnes, le couillon de la quinzaine (la France vaut bien une quinzaine).

Initialement, j'avais songé à l'un des deux finalistes et, à tout seigneur tout honneur, à Nicolas Sarkozy ; mais le président sortant me paraît si mal embarqué qu'il serait cruel de ma part de l'accabler davantage. Le degré de souffrance et d'injustice que lui imposent la presse, la gauche, les étrangers, les syndicalistes, les enseignants, les chômeurs... et à peu près tout le monde, c'est déjà bien assez. Je ne vais pas m'y mettre moi aussi. Les sondages ont beau prédire que Sarkozy se fera couillonner sur la ligne d'arrivée, ça ne suffit pas pour le couronner « couillon de la quinzaine ».

Par souci égalitaire et – presque – d'impartialité, je m'abstiendrai d'offrir le titre à son rival François Hollande, bien que la tentation en soit grande. Quoi qu'on en dise, le candidat de la gauche possède toutes les certitudes de se faire couillonner ! S'il n'est pas élu, bien sûr, mais également s'il est vainqueur, parce qu'il se retrouvera devant tout un pays à gérer avec sa dette, ses chômeurs, tous ses mécontents, toutes les rancœurs d'après-campagne et la crise économique pour lui mettre des ronces dans les chevilles !

Oui, François Hollande serait un bon candidat au titre de « couillon de la quinzaine ». Surtout après ce qu'il a dit du football belge ! Saperlipopette ! Ici, ça a fait des remous, du style « de quoi y s'mêle ? » ou « et l'foot français, il est mieux, tête de nœud ? » avec de vilains échos dans les médias. Je vous mets un ou deux liens, au hasard... Enfin, non, pas au hasard. Faut pas parler de hasard quand il est question de foot français et belge, hein ! (Hazard, si Hollande passe, reviens chez nous, tu joueras mieux!)

Cela posé, moi, ça m'a plié de rire, la sortie du candidat du PS. Tout d'abord parce que le football belge, en effet, ce n'est guère brillant ; et donc que Hollande a raison même si ce n'est pas vraiment à lui de le dire ; mais surtout parce j'ai suivi toute l'interview, ce qui n'est assurément pas le cas de tous ceux qui se sont offusqués ! C'était une excellente répartie, cinglante et imparable, adressée à François Lenglet qui le questionnait et avait sorti une... heu... une étude statistique tendant à dire que moins les joueurs de foot payent d'impôts, meilleurs sont leurs résultats (ou l'inverse : plus ils paient d'impôts, pires sont les performances – l'un ou l'autre, c'est complètement tarte, de toute façon).

Je ne sais pas ce que vous en pensez, mais moi, un type qui pose des questions aussi intelligentes à un candidat à la Présidence de la République, je trouve que non seulement ça ne fait pas beaucoup avancer le schmillblick, mais en outre que ça ne contribue pas à relever le niveau des débats ! Rien que pour ça, François Lenglet mériterait le titre de « couillon de la quinzaine » !

Cependant, ce serait faire injustice à quelques-uns de ses confrères vus et entendus à la télévision, comme David Pujadas, pour ne nommer que lui. Si l'objectif principal de l'émission était d'organiser une pétaudière tous les quarts d'heure sur le plateau de France2, sa performance frisait la perfection ! Je sais que la fièvre était assez élevée en ce soir du premier tour, et que faire taire les uns quand parle l'autre n'est pas toujours facile, surtout avec quatre à six personnes à maîtriser, mais pour essayer de se faire respecter par ses invités, Pujadas jouait les couillons de service !

Reconnaissons toutefois que lesdits invités, pour la plupart, ne semblaient avoir qu'une très vague idée de la notion de courtoisie et, de toute manière, aucune envie de s'en soucier. C'est probablement un des effets du mode de scrutin majoritaire à deux tours : on compose rarement avec les rivaux, on ne les ménage pas et, autant que possible, on les traîne dans la fange. En Belgique, l'élection à la proportionnelle rend nos politiciens plus prudents : on « se lâche » forcément un peu moins quand on garde à l'esprit l'idée que l'adversaire d'aujourd'hui peut devenir l'allié de demain.

En fin de compte, je réalise que le « couillon de la quinzaine », c'est probablement l'électeur français. Quand on songe que le futur Président de la République n'aura été choisi, au premier tour, que par moins de trente pour cent des quatre-vingts pour cent de votants, ça fait quand même très peu ! Pour beaucoup, le vote du second tour ne sera qu'un pis-aller ! Un choix qui n'en sera pas vraiment un pour élire, un peu à contrecœur, celui qui leur paraîtra le « moins pire » des deux.

Moi qui si souvent me réjouis qu'en Belgique le vote soit obligatoire, je me dis que si nous devions passer au mode de scrutin majoritaire, cette obligation deviendrait un fardeau bien lourd à porter !

lundi 23 avril 2012

Ne tournons pas autour du pot !

Non, ne tournons pas autour du pot ! Si j'avais voulu écrire un nouveau chapitre d'actualités à la con, j'aurais échappé à l'embarras du choix, puisque ce week-end tous les feux de l'actu – à part une dramatique collision ferroviaire aux Pays-Bas et la démission imminente du gouvernement de ces mêmes Pays-Bas – étaient braqués vers le premier tour de l'élection présidentielle française.

Déjà, la France, ce n'est pas rien. C'est le pays le plus important du M de l'Europe – ou à peu près – si on oublie les Teutons, les Rosbifs et le Vatican. Et la Suisse, aussi. Mais la Suisse, c'est autre chose. Tout d'abord parce que ce n'est pas un pays de l'Union ; et ensuite parce qu'un peuple qui refuse par référendum une proposition visant à l'octroi de deux semaines supplémentaires de congés payés, ça force le respect. Donc, on ne se moque pas.

Vraiment, si j'avais voulu...

Mais je n'aurais pas lancé à l'avance des chiffres à la secoue-moi-le-noeud. J'aurais attendu vingt heures, comme tout le monde ici en Belgique. Par « tout le monde », j'entends tous ceux qui n'ont pas assez de fric ou assez de pouvoir ou de je-m'en-foutisme pour oser rompre la loi du silence avant l'heure dite.

Comme je l'ai écrit, la France est un grand pays. J'aime bien la France. En Wallonie, on s'intéresse à nos voisins du sud-ouest. Tout d'abord parce qu'ils parlent français, ensuite parce qu'ils aiment bien se payer notre tête et qu'on leur rend volontiers la pareille. Et puis, il y a plus à entendre et à raconter avec eux qu'avec nos autres voisins. Déjà, les autres, on ne comprend pas leur sabir, leurs marottes et leur culture ; ou alors quand on les comprend à peu près bien, comme les Luxembourgeois, on n'a pas trop envie de parler d'eux. Et on ne se moque pas d'un paradis fiscal. Le Grand-Duché, c'est un peu la Suisse du pauvre, pour nous autres les Belges.

Mais pour en revenir à la France, au premier tour de l'élection et aux actus à la con, je dois bien reconnaître que la tentation était grande de rigoler un peu ; mais en même temps j'avoue les avoir trouvés très dignes, François et Nicolas. Dans le genre « on a gagné mais ce n'est pas encore gagné alors prudence » et dans le genre « on n'a pas gagné mais on n'a pas encore perdu alors courage », ils étaient bien. Très bien.

Je ne vais pas davantage rigoler des autres, parce que dans l'ensemble ils ne m'ont pas fait rire. Mélenchon, un petit peu quand même avec sa consigne de vote pour le second tour. Il y en a d'ailleurs un, à la suite de ça, qu'on pourrait surnommer « celui dont on ne prononce pas le nom ».

[Edit : Ah ! Oui, j'oubliais que Marine Le Pen avait annoncé sa volonté de s'opposer à « la gauche ultralibérale ». La gauche ultralibérale, c'est un truc bien français, sans doute, parce que j'ai du mal à appréhender ce genre de notion. Ou alors, c'est qu'au FN, on considère que la droite s'arrête à l'extrême-droite et que le reste est de gauche. Ce qui laisse peu de place au centre, même avec neuf pour cent. Et donnerait raison à Lionel Jospin, qui comparait jadis le centre au Triangle des Bermudes : qui s'en approche est appelé à disparaître.]

Non, franchement, les candidats, ils ne m'ont pas fait rire.

Ceux qui m'ont fait un peu marrer, par contre, ce sont les autres. Les copains de parti, les responsables de campagne et autres conseillers ; tous ceux qui sont venus étaler leur science sur les plateaux de télévision. Et en direct, s'il vous plaît.

Chez nous, en Belgique, nous assistons parfois à des débats houleux, mais en général on parvient à comprendre ce que racontent les uns et les autres. Je ne sais pas si nos politiciens sont plus disciplinés ou respectueux d'autrui, ou s'ils ont compris que quand tout le monde parle en même temps, personne ne comprend quoi que ce soit, mais souvent ça se passe mieux que ça. Peut-être que c'est à cause de nos animateurs qui parviennent à recentrer le débat quand les échanges partent en vrille...

Par moments, hier soir sur France2, c'était un joyeux salmigondis. Je me suis demandé pourquoi j'avais suivi ça jusqu'au milieu de la nuit. Peut-être que j'espérais qu'ils en viendraient aux mains ! Ma femme aussi m'a demandé pourquoi je suivais ça au lieu d'aller me coucher.

« J'aime bien », ai-je dit. Mais je ne sais toujours pas vraiment pourquoi, même si je me suis marré de temps à autre.

C'est peut-être du masochisme intellectuel.

lundi 16 avril 2012

La page de pub

Il m’est arrivé maintes fois de me poser la question suivante : « Pourquoi y a-t-il encore des pages de publicité à la radio et à la télévision ? »

Vous aimez ça, vous ?

Vous êtes assis, tranquille, à regarder un film intéressant à la télé (ou, à tout le moins, un film qui vous intéresse). Vous avez bien réglé le volume : assez fort pour bien comprendre ce que marmonnent certains acteurs. Et même si les cris ou les détonations sont un peu bruyants, ils sont trop brefs pour devenir incommodants.

Et soudain, le film s’interrompt pour la diffusion d'une page de pub. En grommelant, vous plongez sur la télécommande et, malgré l’insistante pression de votre pouce sur le bouton adéquat, le volume ne retombe que bien trop lentement à votre goût. Car, non contente d’interrompre la diffusion de votre film, la séquence publicitaire semble avoir choisi de vous assourdir.

Vous l’avez tous remarqué : les annonces commerciales, ça gueule. Et la chaîne n’y est pour rien. Il n’y a pas dans les studios ou à la régie un technicien payé pour tourner un bouton ou pousser un curseur à fond expressément pour vous enquiquiner quand la pub arrive.

Ce sont les publicistes qui mettent en œuvre la compression du signal : le tout très fort. Le mec qui cause, la nana qui rigole, la musique, la tire qui démarre… tout est au plus haut niveau. Celui qui correspond aux cris et aux explosions que vous pouviez facilement supporter quelques instants plus tôt dans votre film parce qu’ils étaient de courte durée. Vous avez donc réglé le volume du téléviseur en conséquence.

Si, dans votre film, l’explosion est au niveau 10, les cris au niveau 8, les dialogues entre 4 et 6 et les bruits de fond entre 1 et 3 ; votre page de pub navigue intégralement dans les niveaux 9 et 10.

La pub, c’est donc bruyant.

La pub, c’est également chiant. C’est chiant parce que ça coupe votre film en deux, en trois, en quatre… C’est chiant parce que pendant les deux ou trois minutes de messages commerciaux, un but a été marqué, une bagnole est sortie de piste ou Andy Schleck a porté l’attaque décisive qui lui permettra de remporter le Tour de France.

C’est chiant parce que ça vous parle de comptes en banque alors que vous n’avez pas de pognon ; parce que ça vous balance du chocolat et des crèmes glacées alors que vous avez déjà dix kilos à abandonner avant les vacances ; parce que ça vous rappelle la vaisselle en retard, le lave-linge en panne, les robinets entartrés, le carrelage souillé ; parce que ça vous exhibe des vacances inabordables, des bagnoles trop chères, des offres téléphoniques bidon. C’est chiant parce que, généralement, vous n’en avez rien à battre de tous ces produits et services, y compris des cachets contre le mal de crâne que vient de vous refiler la page de pub.

Franchement, moi, je vous le dis : j’emmerde les nouilles Chonchon qui m’ont fait rater en direct l’attaque d’Andy Schleck (ou de Frank, je ne sais plus, en tout cas c’était un des deux, je l’ai su après), j’enquiquine la lessive liquide Bouftou à cause de laquelle j’ai loupé l’abandon de Schumi, j’exècre la bière Tapaucrâne (je n’en boirai jamais) qui a interrompu la scène de la coupure de courant dans la maison du crime !

Comment n’ont-ils pas honte, ces cafards, ces vautours, ces débiles ? Comment ces firmes osent-elles encore nous vanter des produits avec lesquels elles nous perturbent notre soirée ?

Avant, sur les chaînes publiques, nous n’avions pas la pub. On nous a bassinés en nous disant que nos médias ne pouvaient pas tenir face à la concurrence des chaînes dites « commerciales », que nos services de radio et de télévision avaient besoin d’argent pour financer des programmes de qualité.

On nous a promis, la main sur le cœur, la larme au coin de l’œil et des trémolos dans la voix, que les films ne seraient pas interrompus et les reportages non plus. Que les pages de publicité seraient glissées entre les différentes émissions de la journée, de la soirée.

Menteurs !


Toujours est-il que je me vois mal acheter un produit dont l'annonce publicitaire m'a gâché un bon moment devant la télé ou à l'écoute de la radio. Et je m'interroge : suis-je seul à réagir de la sorte ? Sans doute pas, mais probablement la majorité (qui a toujours raison, dans la pratique démocratique) n'est-elle pas ennuyée autant que je le suis par ces satanées pages de pub !

Imaginons que les téléspectateurs, de plus en plus lassés par ce matraquage, décident de bouder autant que possible les marques les plus envahissantes... Finirait-on par nous foutre la paix ?

Dressons une liste noire des marques qui ont eu un jour l’outrecuidance de nous enquiquiner. Et boycottons !

(J’espère toutefois qu’à cause de ça, on ne va pas devoir crever de faim et nous noyer dans la crasse.)

lundi 9 avril 2012

Sonnez la nurse !


— P'tain ! Mais c'est quoi, ce bronx ?

L'infirmière n'avait pu retenir ni ses mots, ni sa grimace de dégoût.

— C'est vous qui avez appelé ? s'enquit-elle horrifiée en me regardant tout en cherchant par quel orifice respirer le moins péniblement.
— Ben, oui. Valait mieux moi que lui, hein ! Sinon je vous raconte pas l'état du bouton de sonnette !

La jeune femme blonde en blouse blanche abandonna son air désespéré au profit d'une mimique accompagnant la ferme décision qu'elle venait de prendre :

— Je vais chercher de l'aide. Ne bougez surtout pas, monsieur Kroszay.

Et elle disparut dans le couloir à la recherche d'oxygène, en prenant néanmoins la précaution de refermer vivement la porte derrière elle.

— Vous avez entendu, Hubert ? jetai-je à mon voisin de chambre. Ne bougez surtout pas.

Moi, j'aurais bien voulu bouger, mais sortir de mon lit aurait été un exercice à haut risque, compte tenu de ma condition physique et de l'état du terrain. Le parcours de la fenêtre à la porte avait tout du champ de mines.

— Keumeuf ! clama Hubert Kroszay.
— Vous avez bien raison ! approuvai-je pour lui indiquer que j'avais compris.
— Attoyer ! ajouta-t-il en recommençant à frotter vigoureusement le linoléum avec sa couche-culotte.

Assis sur mon lit, j'évaluai la situation et en arrivai à conclure qu'elle n'allait pas tarder à être particulièrement pénible pour plusieurs personnes.

Hubert était assis par terre, complètement nu, et entreprenait de nettoyer à sa manière les impressionnants débordements de ses intestins. Il y en avait partout !

Comment ce vieil homme avait réussi à quitter sa couche, malgré les barreaux, demeurait pour moi un mystère ; car bien qu'installé en première loge, je n'avais pu assister à l'exploit pour cause d'assoupissement.

— Attoyer ! s'entêtait mon vieux voisin en faisant l'exact contraire.

L'infirmière blonde reparut accompagnée d'une brune collègue et d'une technicienne de surface qui resta prudemment sur le seuil, accrochée à son matériel de nettoyage.

— Ouh ! s'exclama la nurse de renfort en mesurant l'ampleur des dégâts.
— Je t'avais prévenue ! grimaça l'autre qui était déjà au courant mais semblait toujours aussi épouvantée que quelques minutes auparavant.

Elles avaient emporté des tenues de protection – tablier, gants, chaussons – dont elles s'équipèrent à la hâte avant de s'enhardir dans la chambre en sélectionnant néanmoins soigneusement les endroits où elles posaient les pieds. Je notai qu'elles s'étaient abstenues de prendre des masques respiratoires, peut-être pour éviter toute provocation à mon égard.

— Vous auriez pu sonner plus tôt ! grimaça la blonde.
— Désolé, je dormais. C'est l'odeur qui m'a réveillé, probablement.
— Venez, monsieur Kroszay.
— Attoyer !
— En effet. Attoyer. À commencer par vous.

Elles emmenèrent Hubert Kroszay dans le cabinet de toilette, puis la brune revint dans la chambre pendant que sa collègue récurait mon voisin fouteur de merde.

— Vous tenez le coup, monsieur Mir ? s'inquiéta la brune au moment où je pivotais sur les fesses pour m'asseoir et chausser mon unique pantoufle. J'attrapai mon déambulateur et, en soulevant mon pied plâtré, entrepris de contourner mon lit.
— J'essaie.

L'infirmière avait enlevé les draps complètement souillés tandis que, surmontant sa répugnance, la technicienne de surface venait de se coller elle aussi au boulot.

Comme un soldat jaugeant la piste d'obstacles avant de s'y aventurer, je tentai de repérer un itinéraire dégagé jusqu'à la porte, mais ce n'était pas gagné d'avance. L'inconvénient d'être installé côté fenêtre, car dans le cas contraire, je me serais empressé de trouver refuge dans le couloir plusieurs minutes auparavant.

— Soyez prudent ! recommanda l'infirmière.
— Et comment !
— Attendez, monsieur Mir. Je vais vous aider, proposa-t-elle en tendant une main secourable.
— Non ! m'exclamai-je épouvanté en voyant ses gants.
— Oups ! Pardon ! s'excusa-t-elle.

La technicienne de surface activa la serpillière devant moi à la manière des joueurs de curling frottant la glace devant la pierre en train de glisser.

— Attendez un peu, monsieur Mir ! recommanda la nurse. Je ne voudrais pas vous voir vous étaler dans la... heu...
— Je n'attends pas ! clamai-je en respirant par la bouche et en m'efforçant de contenir la nausée qui menaçait de plus en plus.

En aucun cas, je n'aurais voulu ajouter à la peine de ces aimables jeunes femmes en versant moi aussi mon obole sur le sol de la chambre.
Debout dans le corridor à quelques mètres de la porte, cramponné à mon déambulateur, je repris peu à peu ma respiration tout en songeant que certains métiers ont quelque chose de l'apostolat.


Je dédie ce petit texte au courage et à l'abnégation dont doivent souvent faire preuve les membres du personnel hospitalier, et pour lesquels je leur exprime ma gratitude autant que mon admiration.

mardi 3 avril 2012

Comment remporter un concours chez Les Nouveaux Auteurs


Introduction

Comme annoncé dans ce précédent article, je vais à présent vous expliquer comment devenir lauréat d'un des concours organisés par Les Nouveaux Auteurs et être ainsi édité et distribué à plusieurs milliers – voire plusieurs dizaines de milliers – d'exemplaires.

Non, ne riez pas, c'est du sérieux.

Je ne vais pas vous rappeler les méthodes utilisées par la maison d'édition Les Nouveaux Auteurs. Vous trouverez à ce sujet les informations de base sur leur site Internet ; ainsi que divers commentaires que j'ai compilés dans de précédents messages.

Même si l'éditeur ne le précise pas vraiment sur son site, sachez que pour bénéficier d'une mise en avant intéressante il faut être lauréat d'un des concours qu'il organise chaque année. Si vous envoyez un manuscrit sans vous porter candidat et que les fiches remises par le Comité de Lecture Citoyen sont enthousiastes, il est probable que vous serez sollicité pour vous inscrire au concours.

Tout éditeur sérieux éditant à compte d'éditeur possède un comité de lecture chargé de sélectionner les meilleurs manuscrits parmi ceux qui lui parviennent. Quel que soit ce comité de lecture, il faut donc impérativement le séduire. Les éditeurs sérieux ont également une ligne éditoriale qu'ils affichent clairement ou que vous pouvez cerner assez facilement en consultant la liste de leurs publications. Leur comité de lecture a donc pour tâche, en premier lieu, de rejeter ce qui ne correspond pas à cette ligne éditoriale.

Les Nouveaux Auteurs est un cas particulier. Si vous consultez son site, vous remarquerez qu'il se déclare ouvert à tous les genres de romans pourvu qu'ils émanent d'auteurs non encore édités. Dans la pratique, vous constaterez qu'il favorise quand même un genre : le polar.
Il est délicat d'affirmer qu'il s'agit d'une volonté de l'éditeur, étant donné que les choix sont dictés par les notes remises par les membres du Comité de Lecture Citoyen, mais puisque la maison organise un concours spécialement dédié au genre polar/thriller (Prix VSD du polar), et que leur second concours (Prix Femme Actuelle du roman de l'été) voit généralement émerger le même type de récits, il n'est pas interdit de le penser.

D'autre part, sachant que le polar est à la mode, qu'il se vend bien et que par conséquent il aura la préférence d'une grande partie du lectorat (donc aussi des membres du Comité de Lecture Citoyen), l'éditeur ne va pas cracher dans la soupe. Vox populi, vox dei.

Vous aurez donc compris que pour mettre de votre côté les meilleures chances de séduire et de devenir lauréat, le manuscrit que vous enverrez devra s'inscrire dans ce genre ayant le vent en poupe : le polar.

Initialement, lorsque j'avais découvert cet éditeur à moins d'un mois de la date limite de remise des manuscrits, j'avais effectué très peu de recherches préparatoires à l'envoi de mon roman. Si j'avais pris le temps de le faire, j'aurais compris que mes chances d'émerger étaient bien minces, non seulement parce que j'avais bâclé mon travail pour le terminer dans les délais, mais aussi parce que je n'avais aucunement pris en compte les orientations éditoriales de Les Nouveaux Auteurs.


Le polar

Par définition, le polar, c'est un roman policier à l'ambiance sombre, qui voit le ou les enquêteurs mettre les mains dans le cambouis pour tenter de résoudre l'énigme proposée plutôt que de méditer longuement dans un fauteuil en fumant la pipe pour décider en fin de compte que le coupable est celui qui avait deux poils de chien de chasse sur le pardessus et des chaussures fabriquées par un artisan de Manchester.

Plus que tout autre sans doute, le polar est un genre très formaté, truffé de clichés et à l'originalité limitée. Ce qui distingue une œuvre de l'autre, c'est l'inventivité introduite dans les détails de mise en scène plutôt que dans les mécanismes scénaristiques.

Je ne vais pas répertorier les plus gros clichés utilisés par les grands auteurs de polars, thrillers et autres romans noirs, d'autres l'ont fait avant moi. Je me contenterai de mettre un lien vers ce site où l'essentiel vous est expliqué avec l'humour cynique de circonstance.

Sachez toutefois que la découverte du meurtre ou de la série de meurtres est de loin le plus important des éléments proposés. C'est sur le crime en lui-même, sur sa mise en scène, sa description et les circonstances ayant mené à sa découverte que devront porter vos premiers efforts d'originalité. N'hésitez pas à secouer vos neurones ; ayez le souci du détail. Ces quelques pages qui devront attiser la curiosité du lecteur et conditionneront la suite du scénario constituent « l'accroche » de votre roman et en sont un des composants essentiels.

Si vous avez pris le temps de découvrir les mécanismes traditionnels du genre, grâce au lien que j'ai inséré ci-dessus, vous n'aurez pas manqué de réaliser à quel point les auteurs de polars usent et abusent de ce qu'il faut bien qualifier de « clichés ». Si vous n'en êtes pas conscient, c'est que vous n'avez jamais lu ce type de romans, ou alors vraiment très peu.

Vous pourriez dès lors vous interroger sur la nécessité de les utiliser vous aussi, car comment imaginer pouvoir sortir du lot en répétant ce que d'autres ont déjà répété des milliers de fois ?

C'est pourtant ce qu'il vous faudra faire si vous voulez réussir dans votre entreprise qui n'est pas, soulignons-le, d'écrire le livre du siècle ou le bouquin avant-gardiste qui assurera la fortune de vos héritiers, mais un simple roman à succès ; ce qu'on appelle, en bon français, un best-seller.

N'oubliez pas que votre manuscrit ne sera pas présenté à un comité de lecture professionnel ni au jury du Goncourt, mais à une poignée d'amateurs dont la plupart se déclarent « jamais sans un livre », mais qui en réalité n'en lisent sans doute qu'un ou deux par an. Dans le meilleur des cas, ils auront un peu d'expérience comme membres du Comité, mais bien souvent ils en seront à leur « coup d'essai » de critique de romans.

Les membres du Comité de Lecture Citoyen se recrutant en grande partie au sein du lectorat des revues VSD et Femme Actuelle, ce lectorat sera essentiellement féminin. C'est déjà vrai dans l'absolu, les femmes lisant plus de livres que les hommes, mais ça l'est encore plus dans le cas qui nous occupe. Vos lecteurs seront donc principalement ou exclusivement des lectrices, ce dont vous devrez tenir compte. Évitez les propos machistes, sauf s'ils viennent d'un vilain personnage qui sera sévèrement châtié. Évitez également – mais c'est valable quel que soit le lecteur – d'introduire des opinions personnelles dans la tête ou la bouche de vos personnages principaux. Les goûts et les couleurs, ça ne se discute pas. Inutile donc de dire que le commissaire adore les chansons de Madonna ou que votre héroïne est dingue de Brad Pitt. Vous risquez de vous attirer l'antipathie de ceux qui ne partagent pas ces affinités.

D'autre part, n'espérez surtout pas les séduire avec une histoire sortant totalement des sentiers battus. Le roman populaire, c'est comme la chanson populaire : formaté et sans grande inventivité. Surprendre, c'est dérouter ; et dérouter, c'est déplaire. Pour emporter l'adhésion du lecteur, il faut lui donner à lire ce qu'il a envie de lire, même si ce n'est pas nouveau. Aussi incroyablement idiote qu'elle puisse paraître, la réalité populaire est faite de stéréotypes et d'une routine rassurante. Regardez les gens qui réservent leurs vacances dans des contrées lointaines : ils s'accrochent aux photos et exigent que l'hôtel soit « comme dans le catalogue » ; ils espèrent que la nourriture sera convenable (comme chez eux) et que l'on comprendra leur langue. Aujourd'hui, dès qu'une région ou un pays sont ouverts au tourisme de masse, dès qu'ils s'adressent à monsieur et madame Tout-le-Monde, on y sert de la cuisine dite internationale : frites, hamburgers, pizzas…

Évitez donc de trop surprendre le lecteur. Servez-lui ce qu'il attend : les clichés du polar. Votre originalité portera sur certains détails de mise en scène, sur certaines particularités des lieux et des personnages, mais surtout pas sur le scénario, sur l'ambiance et la narration en général.

Venons-y, à la narration…


L'écriture

Sur les fiches de lecture qu'ils devront remettre, les membres du Comité de Lecture Citoyen devront noter votre style. Si vous voulez avoir un aperçu de ce que ça peut donner comme résultat, ne manquez pas de vous rendre sur le site de l'éditeur et de consulter lesdites fiches de lecture. Imprégnez-vous de la manière avec laquelle ces amateurs critiquent la prose d'autres amateurs. J'ai épinglé, dans cet article et dans un second rédigé un peu plus tard, quelques perles de culture dont il vaut mieux rire, tout en réalisant qu'elles peuvent malheureusement vous tomber dessus, quelles que soient les qualités de votre travail.

Un bon conseil : ne faites pas de littérature. Écrivez simplement et relisez-vous attentivement. Soignez l'orthographe, personne ne vous reprochera l'absence de fautes. Dans le cas contraire, si beaucoup n'y verront que du feu, sachez que d'autres seront sensibles au respect de la grammaire et ne manqueront pas de saler la note si vous avez été négligent.

N'utilisez pas de termes compliqués ni de tournures alambiquées ! Si ça peut vous valoir quelques applaudissements très isolés, l'essentiel des réactions sera l'incompréhension, voire le mépris. N'oubliez pas que lorsque vous vous adressez aux gens avec des mots qu'ils ne comprennent pas, même si ces mots sont corrects, c'est vous qui êtes un imbécile. Mettez-vous au niveau de votre lectorat : VSD, Femme Actuelle. Soyez simple, soyez clair. Avant d'envoyer votre manuscrit, faites-le lire par des gens de votre entourage et demandez-leur ensuite de vous raconter l'histoire, de vous dire s'ils ont tout compris sans problème, s'ils n'ont rien trouvé d'incohérent.

Exactement comme pour le scénario et les personnages, votre style doit utiliser des clichés. Servez-vous d'expressions toutes faites plutôt que de perturber le lecteur avec des tournures inattendues ou des épithètes originales. Donnez-lui à lire ce qu'il a envie de lire, tel qu'il a envie de le lire ! Il doit frissonner et non se gratter le crâne !

Utilisez les épithètes et expressions courantes, qui sonnent bien : un crime horrible, odieux, épouvantable, hors du commun (même s'il est commun dans les polars, il est supposé être hors du commun dans la réalité)...

Parlez de tueur en série (ou de serial killer, tout le monde comprend et ça en jette un max), pervers, sadique, impitoyable, insaisissable ; évoquez ses mobiles obscurs, ses plans machiavéliques (vous n'êtes pas tenu d'avoir lu Machiavel pour utiliser l'expression), son comportement imprévisible...

Les meurtres doivent être commis, perpétrés... et peuvent s'enchaîner, se multiplier ou être commandités...

Plongez vos personnages dans des quartiers mal famés, des milieux occultes, des hôtels miteux, des bars louches, des immeubles en ruine, des usines désaffectées, des carrières abandonnées...

Dites que l'enquête piétine, que les forces de l'ordre restent impuissantes, que les rares indices sont maigres, que les pistes sont ténues, fausses, ne mènent à rien ou nulle part... Dites qu'il faut démêler un écheveau ou citez « l'écheveau inextricable ». Peu savent de quoi il s'agit, mais puisqu'il faut démêler, c'est sans doute compliqué pour les enquêteurs.

Il peut y avoir des flics corrompus (des politiciens aussi, mais c'est une trivialité), pourris (ou ripoux), bornés, désabusés ; un avocat marron ; un témoin clé, principal, essentiel, unique, important...

La victime est innocente, malheureuse ; la veuve est inconsolable ou éplorée (contrairement au veuf, qui ne mérite aucune épithète), mais elle peut être aussi une riche veuve (et dans ce cas, évitez de parler de la veuve joyeuse, vous n'êtes pas supposé pratiquer l'humour à deux balles).

N'oubliez pas que la police peut faire fausse route et qu'il faudra des preuves irréfutables ou accablantes pour que la vérité éclate au grand jour, que le coupable soit démasqué, reconnu ou châtié et que la presse unanime en fasse ses choux gras.


Mais alors ?

À la lecture de ce qui précède, vous pourriez légitimement penser que je ne suis qu'un frimeur qui essaie de ramener sa science :

Puisque tu es si malin et que c'est si facile, Ludovic Mir, comment se fait-il que tu n'aies pas déjà remporté de concours chez Les Nouveaux Auteurs ? Tu devrais déjà être édité à des dizaines de milliers d'exemplaires ! Alors, tes conseils, c'est du pipeau !

Permettez-moi tout d'abord de vous signaler qu'en aucun cas je n'ai prétendu que c'était facile. Je vous ai seulement donné la recette du succès. À vous de l'appliquer.

Mais c'est un peu comme en cuisine : donnez la même recette à dix personnes, vous obtiendrez des résultats hétéroclites, de l'immonde au succulent en passant par l'acceptable et… le surprenant. Certains vous serviront un plat innommable tout en prétendant pourtant avoir « bien suivi la recette », d'autres se seront trop éloignés du résultat souhaité et, même si leur plat est convenable, il sera peu apprécié.

Il y a dans tout cela une question de sensibilité, de savoir-faire ou d'art de l'improvisation. Quelle que soit la méthode utilisée, l'un laissera immanquablement des grumeaux dans la béchamel quand l'autre sera capable de « rattraper » en quelques coups de poignet une mayonnaise qui prend mal.

Le secret de votre réussite sera celui-là : mettre en œuvre une recette connue en lui apportant votre touche personnelle. Cette dernière devra être perceptible, mais sans prendre l'ascendant sur les ingrédients de base. L'originalité de votre roman résidera dans le détail. Si vous tentez de bouleverser les canons du genre, vous courrez à l'échec.

Quant à moi, si je n'ai pas remporté de concours chez Les Nouveaux Auteurs, c'est parce que je suis infoutu de suivre cette fameuse recette. Même si je le voulais vraiment, je n'y parviendrais pas. Je n'ai ni le talent, ni le goût d'écrire des romans noirs. Je me contente de balancer des sarcasmes débiles sur mon blog ; et ça, ça m'amuse énormément.