jeudi 2 décembre 2010

La rue en pente


À moins de n'avoir jamais quitté la morne plaine, nous connaissons tous au moins une rue en pente. Le genre de rue qu'on aborde prudemment, quel que soit notre moyen de déplacement, et plus prudemment encore lorsque les conditions sont difficiles. Une voie plus ou moins carrossable le long de laquelle – eh oui ! – ont été érigées des maisons dont on se demande si les occupants souffrent ou non d'un mal de mer chronique. Un chemin où l'on n'abandonne sa voiture qu'après avoir vérifié, plutôt deux fois qu'une, que le frein de stationnement a bien été actionné et qu'on n'a pas oublié d'orienter vers le trottoir les roues directrices. Parce que tout le monde ne promène pas une brique dans son coffre ; et puis parce que les briques, utilisées comme ça, ça finit toujours bien par être sale à manipuler.
Une rue comme ça, tout le monde n'y circule pas de gaieté de coeur. Même les gamins n'y descendent plus en roller : maman ne veut pas, c'est trop dangereux à cause des autos. Une rue comme ça, on l'évite.
Mais il arrive parfois, et même souvent, que la pauvre voie en pente constitue un intéressant raccourci ou, plus prosaïquement, un « itinéraire bis » permettant de contourner les boulevards trop fréquentés et, aux heures de pointe, irrémédiablement embouteillés.
Eh ben moi, j'en connais au moins une comme ça. Quand je prends ma bagnole pour aller bosser, je ne manque jamais de me souvenir de son existence et des cinq à dix minutes de trajet qu'elle me fait gagner. À l'aller, ça descend. Le soir, au retour, ça monte.
Quand les conditions sont mauvaises, comme ces derniers jours, avec de la neige qui s'accroche, on se pose la question : j'y vais ou j'y vais pas ? La plupart n'y vont pas. Parce que c'est spécial. En montant, par exemple, il vaut mieux éviter de s'arrêter sous peine de devoir redescendre en marche arrière (si un autre optimiste vous a suivi, je vous laisse imaginer les noms d'oiseaux dont il va vous gratifier !). En descendant, il vaut mieux ne pas avoir à s'arrêter. D'ailleurs, on ne peut pas s'arrêter : c'est en première et au frein moteur. Les freins, ça ne sert à rien. Si : à bien vérifier que la voiture dispose d'un ABS et qu'il n'est d'aucun secours dans de telles conditions.
Alors, on fait comme au toboggan : on essaie de rester à distance respectueuse de celui qui s'y est aventuré juste avant nous.
Parfois, il y a un problème. Comme ce mardi.
Je descendais, peinard, pas franc mais pas trop angoissé non plus, à distance convenable de l'optimiste qui me précédait. Tout allait bien. Et puis, dans l'autre sens, quelqu'un montait. Enfin, essayait. La voiture s'était arrêtée et, dans de grands cirages de pneus avant, partait en travers de la voie malaisément carrossable.
« Hé ! Oh ! Pas ça ! Et par où je passe, moi ? »
Parce que je rappelle que s'arrêter en descendant quand il y a de la neige, c'est aussi optimiste que bouffer des huîtres au resto en espérant y trouver la perle pour régler l'addition !
J'essaie les freins : rien. Si. L'ABS qui me rappelle en me secouant la semelle qu'il ne me servira à rien.
Voyant qu'il n'y a pas la place, je serre à droite où, miracle, aucune voiture n'est en stationnement sur les lieux du drame qui se prépare. Caniveau, petit coup de volant... et hop ! Je m'arrête en jouant avec la bordure. Brave bordure !
De l'autre côté, le conducteur s'acharne. La voiture avance de deux mètres, recule d'un, récupère une partie de son travers. Coup d'oeil au rétroviseur : un optimiste qui s'est engagé après moi s'approche dangereusement. Il a sûrement l'ABS lui aussi. Tout le monde a l'ABS.
Tant pis ! Un trou et on y va ! D'un léger coup de volant, je décolle du bord du trottoir, sors la roue du caniveau et me faufile à vingt centimètres de l'autre, calé dans la côte. La conductrice me jette un regard désespéré.
« Non, désolé, Madame, je ne peux rien pour vous. On m'appelle plus loin. »
En passant, je croise un second automobiliste et découvre ses grimaces exaspérées. Il a un quatre-quatre. Il ne pourrait pas pousser l'auto de la madame ?
Je ne m'attarde pas sur la question et, un kilomètre et dix minutes plus tard, j'arrive sain et sauf au boulot. Ouf ! Pas aujourd'hui qu'on froisse de la tôle !
J'ignore si la dame s'en est sortie. Tout ce que je sais, c'est qu'en rentrant, le soir, j'ai soigneusement évité la fameuse rue en pente qui est un si bon raccourci.
Faut pas trop tenter le diable !


2 commentaires:

  1. Ha ha ha !
    Et les riverains doivent se marrer comme des baleines !


    "Oui, oui, je le reconnais, c'est bien sa voiture ! Il dit qu'il a oublié de serrer son frein à main. Mais où est le corps du cycliste ?!?"

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  2. J'y suis repassé ce matin (1 mois de neige, ça refroidit les ardeurs), mais je n'ai pas vu de traces de sang.
    C'est bon signe, non ?

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